Le droit local existe depuis plus de 150 ans Mais tout récemment à été célébré le 100e anniversaire de l’adoption des lois dite « d’introduction » du 1er juin 1924. Celles-ci ont rendu applicable en Alsace et Lorraine une grande partie de la législation civile et commerciale, mais elles ont maintenu le reste du droit local et donc contribué à sa pérennité.
Un droit local très apprécié des Alsaciens…
Cet anniversaire a suscité deux grands colloques sur le droit local, qui se sont tenus à Strasbourg : celui des notaires le 17 juin 2024 au théâtre du Maillon et celui de l’Institut du droit local les 21 et 22 juin 2024 à Sciences-Po.
Les deux manifestations ont attiré beaucoup de monde : universitaires, professionnels, politiques, habitants de la région. Un public qui a exprimé de manière quasi unanime son attachement au droit local, comme le manifeste aussi l’ensemble de la population, à travers un sondage réalisé par l’IFOP fin avril 2024 : seulement 3% des habitants de l’Alsace et de la Moselle demandent la disparition du droit local.
Pour une grande majorité des Alsaciens-Mosellans, (plus de 85%) le droit local est un élément important de l’identité locale, une façon d’adapter le droit aux caractéristiques locales et un instrument de développement pour l’Alsace et la Moselle. Il y a bien sûr aussi quelques tonalités critiques, mais elles restent, quel que soit le sujet évoqué, inférieures à 30%. Non seulement les Alsaciens-Mosellans souhaitent majoritairement garder ce droit, mais ils aimeraient aussi le moderniser et l’appliquer à de nouveaux domaines. Le droit local comme réalité sociale et juridique semble donc bien installé dans le paysage alsacien.
… mais à ancrer dans l’avenir
Un bel avenir est-il dès lors promis au droit local ? Pas si sûr ! En premier lieu, ce droit local reste assez mal connu et encore moins compris. Récemment l’Institut du droit local (IDL) a diffusé une brochure d’information (consultable et téléchargeable ci-dessous) dont le grand succès démontre à contrario le besoin d’information.
Le droit local est également mal connu par les élus comme l’a montré la table ronde organisée dans le cadre du colloque de l’IDL : malgré des paroles générales d’adhésion pour ce droit, l’information des élus est faible et leur engagement concret limité.
Le président de l’Institut a d’ailleurs clairement relevé ce manque d’investissement concret des collectivités territoriales dont l’attachement au droit local se réduit souvent, en dehors d’un soutien financier modeste à l’IDL, à des vœux pieux. Le droit local a besoin d’experts dans les différents domaines de la société ; mais ceux-ci sont peu nombreux et les spécialistes âgés ne sont pas remplacés par des représentants de la jeune génération. Le droit local ne peut vivre que si des jeunes fonctionnaires, juristes, universitaires, etc. s’investissent dans ce domaine et le font vivre par des travaux orientés vers l’avenir. L’université est particulièrement indigente à cet égard.
Il faut par contre saluer le fait que la collectivité européenne d’Alsace et le département de la Moselle ont créé avec l’IDL un « Conseil représentatif du droit Local », auquel tous les parlementaires sont appelés à participer, pour exprimer, à l’intention des autorités centrales les attentes de la population locale en matière d’évolution du droit local. C’est une innovation importante, mais il faut la faire vivre. Tout dépendra en fin de compte de la détermination de nos élus.
Survivre dans un environnement national hostile
En effet, le droit local doit tenter de survivre dans un contexte de droit français hostile : on le voit toujours encore comme un droit qui met en cause l’unité de l’Etat, l’égalité des citoyens, etc. Il a beau faire valoir qu’il est une forme de cette différenciation territoriale que tout le monde appelle de ses vœux, il reste regardé avec suspicion. De plus, ce droit local correspond à une construction hétéroclite difficile à gérer : c’est un droit propre à l’Alsace et la Moselle mais qui reste entièrement (ou presque) entre les mains du pouvoir central : pour le modifier il faut l’accord du Parlement ou du Gouvernement et l’aval du Conseil constitutionnel. Une véritable gageure !
Le droit local, expression de l’identité alsacienne
Mais plus grave encore est l’ambigüité du fondement du droit local. Nombreux sont ceux qui voudraient limiter sa justification à la qualité technique de ce droit ou aux avantages pratiques qu’il apporte. Une telle justification est bien évidemment fragile. Seul peuvent justifier sur la durée l’existence d’un droit territorial particulier ses liens avec l’histoire, la géographie, la culture, le tempérament local, la langue etc., en d’autres termes son lien avec une identité locale et avec une aspiration à une plus grand autonomie locale. Tout le monde sait que c’est le fond de la question mais personne n’ose le dire. Au contraire, on feint le plus souvent de croire que le droit local ne soulève que des questions techniques.
Tant que l’on n’osera pas aborder ouvertement cette dimension, le droit local restera un accident de l’histoire, protégé par le souvenir d’une succession de tentatives ratées de suppression, telles que la tentative du Cartel des gauches de 1924 d’introduire « les lois laïques » en Alsace et Moselle. Il restera un « ersatz » d’un véritable statut local, permettant seulement aux Alsaciens de manifester à bas bruit une forme édulcorée de leur différence.
Le défi pour le droit local consiste à passer d’une survivance historique anecdotique à un modèle de diversification territoriale du droit, susceptible d’apporter aux régions de la France qui en expriment le souci, des mécanismes permettant de prendre en compte leurs personnalités particulières, leurs besoins et leurs contraintes spécifiques.