Hubert Ott est le seul député alsacien du « socle majoritaire » (macronistes plus LR) à avoir voté contre la loi Duplomb sur l’agriculture. Il nous explique pourquoi.
Ce 8 juillet 2025, la loi Duplomb a été votée définitivement par l’Assemblée nationale (316 pour, 223 contre) après être passée en commission paritaire mixte (députés plus sénateurs. Cette loi, destinée à « lever les contraintes » des agriculteurs, était soutenue par les syndicat agricole FNSEA et Coordination rurale, mais combattue par la Confédération paysanne, autre syndicat agricole plus soucieux de l’environnement.
Parmi les principales dispositions controversées : la qualification d’ »intérêt général » accordé à tout projet de bassine d’eau, y compris les méga-bassines, et surtout la levée de l’interdiction d’un insecticide néonicotinoïde, l’acétamipride.
L’acétamipride sera de nouveau utilisé pour la production de betteraves, de noisettes et de fruits tels que les pommes, les cerises ou encore les navets. Il est très toxique pour les abeilles, et des études sur les animaux indiquent qu’il est cancérigène. Or, une fois passé dans la nappe phréatique, il ne se dégradera pas et se retrouvera dans notre eau du robinet…
Hubert Ott à propos de la loi Duplomb

« La loi Duplomb, je l’ai travaillée sérieusement : auditions, amendements, débats. Mais une partie de l’Assemblée a préféré couper court aux discussions. Aucune discussion de fond. Une Commission Mixte Paritaire expédiée. Et au final : un texte déséquilibré.
Je partage certaines des avancées portées par cette loi : l’amélioration de l’assurance récolte, un encadrement plus lisible de l’action de l’Office Français pour la Biodiversité, un meilleur accompagnement des agriculteurs lorsque des produits autorisés au niveau européen sont interdits en France, ou encore la reconnaissance de l’abreuvement comme objectif de la politique de gestion de l’eau, une réponse attendue et légitime de la part de nos éleveurs.
Mais plusieurs dispositions me conduisent à voter contre le texte dont notamment :
- La réintroduction de l’acétamipride, un néonicotinoïde dont la dangerosité pour la santé et l’environnement est bien documentée, constitue une régression. Il faut au contraire se donner les moyens de faire autrement, en investissant dans des alternatives durables pour les filières concernées.
- Une approche trop uniforme et parfois caricaturale des enjeux liés à l’eau, alors qu’il existe des solutions de terrain à explorer : retenues collinaires, gestion intelligente de l’eau de surface, simplification et clarification des obligations administratives. »
Le sujet qui fâche : l’insecticide acétamipride

« L’acétamipride est un neurotoxique agissant sur les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine (présent autant chez les humains que chez les insectes), essentiels au développement cérébral. Il entraine une mortalité de 30% chez les abeilles. Réintroduire l’acétamipride est une faute politique majeure. Cela revient à ignorer :
- La littérature scientifique récente et accablante ;
- Les effets sublétaux sous-évalués sur les pollinisateurs ;
- Les risques graves pour le neurodéveloppement des enfants ;
- Les défauts structurels de l’évaluation réglementaire actuelle.
Le principe de précaution impose de maintenir l’interdiction et même de l’étendre à tous les usages (pesticides, biocides, vétérinaires), au niveau national et européen.
Et, contrairement aux affirmations relayées dans certains débats parlementaires, les effets sublétaux (autres que la mort directe de l’insecte – ndlr) de l’acétamipride sont :
- Multiples : baisse de la fertilité, désorientation, perte des capacités d’apprentissage ou de mémoire chez les abeilles.
- Documentés par au moins 23 études publiées en deux ans, pourtant non prises en compte par l’EFSA (agence européenne chargée d’évaluer les risques alimentaires – ndlr) dans ses évaluations finales.
- Critiques pour la survie des pollinisateurs, car ils affectent le comportement et la reproduction sans entraîner une mortalité immédiate.
Ces effets ne sont pas détectés par les protocoles réglementaires actuels, basés presque exclusivement sur la mortalité directe de l’abeille domestique, en ignorant les bourdons et abeilles solitaires, pourtant souvent plus sensibles.
Une toxicité avérée pour le développement neurologique humain:
- L’EFSA alerte depuis 2013 sur un potentiel effet DNT (neurotoxicité développementale), sans qu’aucune étude réglementaire in vivo ne soit exigée depuis. En 2024, l’EFSA reconnaît que le facteur de sécurité utilisé est trop faible et que les incertitudes persistent.
- 11 nouvelles études académiques publiées depuis 2016, dont plusieurs in vivo, suggèrent des atteintes au développement cérébral du fœtus (altération du cervelet, des fonctions cognitives, etc.).
- Des métabolites de l’acétamipride ont été retrouvés dans le liquide céphalo-rachidien d’enfants. »
Autre sujet controversé : gestion de l’eau et bassines
Pour Hubert Ott, « la présomption d’intérêt général pour les retenues dans les zones déficitaires en eau ouvre la voie à des dérogations massives aux règles environnementales.
Cette loi considère par principe tout ouvrage de stockage d’eau comme relevant de l’intérêt général majeur, sans distinction de taille, d’usage ou de contexte territorial. Cette approche est profondément dangereuse, car elle place sur le même plan des infrastructures de plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes, parfois équivalentes à plusieurs piscines olympiques, et des petits ouvrages à usage collectif ou agroécologique. Avec une telle généralisation, on ouvre la porte à une dérogation systématique au droit de l’environnement, au détriment de la biodiversité, des zones humides et du bon état des ressources en eau.
Surtout, on dépolitise le débat local en le vidant de son contenu : au lieu d’évaluer la pertinence, la soutenabilité et l’efficacité de chaque projet, on court-circuite l’analyse environnementale et la concertation. Cette logique du « tout intérêt général » conforte un modèle agricole intensif, peu économe en eau, au lieu d’accompagner une transition vers des pratiques plus résilientes, sobres et collectivement acceptables.
J’avais proposé d’autres réponses sur la problématique de l’eau, une travaillée avec notre groupe Les Démocrates (qui regroupe les députés Modem à l’Assemblée – ndlr): clarification de la définition des cours d’eau, et une autre avec la FDSEA du Haut-Rhin et la Chambre d’agriculture d’Alsace : simplification ciblée de la création de petites retenues d’eau, inférieures à 10 000 m³. »
La conclusion d’Hubert Ott:
« Il est urgent d’apporter de véritables simplifications aux agriculteurs, mais aux vrais agriculteurs du quotidien, ceux qui travaillent seuls, en famille, sur des exploitations à taille humaine, et qui sont aujourd’hui étranglés par la complexité administrative, les incertitudes climatiques et la pression économique.
Or, la loi Duplomb ne répond pas à cette attente. Elle ne facilite la vie que de quelques grandes exploitations, déjà bien structurées, qui ne sont pas représentatives de la diversité de notre monde agricole. D’ailleurs il n’y a pas un mot dans la loi sur le revenu agricole. Pourtant, c’est bien ça le vrai combat pour permettre à nos agriculteurs de vivre dignement de leur travail.
Cette loi Duplomb donne le sentiment qu’on peut encore gagner du temps en reculant, qu’on peut continuer à repousser l’adaptation de notre agriculture aux effets bien réels du changement climatique. C’est une illusion dangereuse. On ne prépare pas l’avenir en détricotant des règles sans construire d’alternative solide. On ne renforce pas la résilience du secteur agricole en revenant sur des acquis environnementaux ou sociaux importants.
Notre responsabilité est d’accompagner une agriculture qui se transforme, pas de céder aux mirages du statu quo. Nous devons construire avec les agriculteurs des réponses à la fois réalistes et durables, pas leur proposer des dérogations temporaires ou des échappatoires qui fragilisent encore un peu plus ceux qui s’engagent déjà dans des transitions courageuses. »
Hubert Ott est député (Modem) de la 2ème circonscription du Haut-Rhin et membre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale – Article publié le 9 juillet 2025