Conférence-débat

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Comment écrire la langue alsacienne ?

Une sympathique soirée de réflexion et d’échange sur le thème : « Wi’ soll mìr Elsassisch schriwe ? Comment écrire notre dialecte ? » fut organisée mercredi le 19 mars 2025, par La Maison Rurale de l’Outre-Forêt à La Saline de Soultz-sous-Forêts, à l’initiative du chanteur et enseignant d’alsacien Serge Rieger. Au micro pour l’occasion, se trouvaient les dialectologues-linguistes Pascale Erhart, directrice de l’Institut de Dialectologie de l’Université de Strasbourg, et Danielle Crévenat-Werner, ainsi que l’animateur-dramaturge bien connu Christian Hahn, président du Conseil Culturel d’Alsace.

Conférence comment écrire l'alsacien: Intervenants Christian Hahn, Danielle Crévenat-Werner et Pascale Erhart
Christian Hahn, Danielle Crévenat-Werner au micro et Pascale Erhart lors de la conférence-débat « Comment écrire l’alsacien » – Photo: Albert Weber

Les organisateurs qui espéraient une petite centaine de spectateurs furent agréablement surpris de devoir rajouter des chaises, puisqu’il y eut près du double de participants. Parmi ceux-ci, quelques têtes connues se dessinèrent : des chanteurs remarqués au concours radiophonique d’Stìmme, tels Emilie Thoby, Brigitte Crenner ou Richard Metz, ou encore l’humoriste Huguette Dreikaus ainsi que Jacques Schleef, fondateur du festival Summerlied, sans compter de nombreux élus locaux, etc.

Mme Erhart expliqua, très justement, que l’intitulé de la soirée aurait plutôt dû être « Wi kànn m’r Elsassisch schriwe ? Comment peut-on écrire l’alsacien ? ». En effet, les règles en la matière n’ont rien d’un absolu et sont aussi discutables qu’adaptables…

L’allemand comme standard d’écriture de l’alsacien ?

Le lien de notre langue régionale avec l’allemand standard : Schriftdeutsch, que l’on nomme aussi Hochdeutsch – ce qui est en fait un corpus linguistique historique varié –, a été mis en question. Ainsi, Mmes Erhart et Crévenat-Werner, ont expliqué que les cours d’alsacien, associatifs ou universitaires, ne s’adressent pas uniquement aux personnes germanophones, loin de là ; de ce fait, il n’est pas possible de demander à ces étudiants d’étudier d’abord l’allemand. C.Q.F.D. Ainsi, l’utilisation de l’allemand standard comme exemple d’écriture pour le dialecte pose problème pour ces personnes.

M. Hahn prit, à ce propos, l’exemple de notre grand écrivain feu-André Weckmann qui s’éloigna de la graphie allemande pour son œuvre, afin de se démarquer en sa spécificité alsacienne, alors même qu’il était enseignant-pédagogue en allemand ! À ce propos, Weckmann m’avait lui-même expliqué être revenu, par la suite, en arrière pour des raisons logiques de simplification.

Cette question de l’allemand comme référence générale d’écriture est centrale, mais rejetée comme référence absolue tant par les dialectologues que par nombre d’Alsaciens ! Les linguistes et les historiens insistent sur le caractère multiple et antérieur de l’alsacien – alémanique et francique – par rapport à l’allemand standard.

Et, c’est là où le bât blesse… car dans le public les affects s’en mêlent et s’emmêlent ! La position officielle de l’Etat, tenue par le Rectorat, est que le dialecte n’est qu’une variante locale de la langue allemande… ce qui est historiquement et concrètement inexact. Nombre de spectateurs demeurent attachés à leur allemand scolaire et télévisuel, tandis que les régionalistes plus radicaux voient là, évidemment, un mépris officiel manifeste.

Comme souvent en terre alsacienne, les sens s’échauffent sur les détails plutôt que sur le fond du débat. Par ailleurs, bien des spectateurs ont regretté que le français ait majoritairement été employé et que la question de la façon d’écrire l’alsacien n’ait été qu’effleurée. Mais, la nature universitaire et ouverte du débat, non réservée aux dialectophones de naissance, explique en partie cela. En outre, l’absence (pour cause de maladie) de M. Edgar Zeidler, créateur du système d’écriture ORTHAL et président de l’AGATE – Académie pour une Graphie Alsacienne Transfrontalière – n’a pas permis d’aller plus loin sur cette question.

Conclusions de la soirée « Comment écrire l’alsacien »

  • Le dialecte s’écrit bien, même si la forme ORTHAL n’en est qu’un indicateur parmi une multitude de variations locales…
  • Il faut une volonté politique (non-partisane) pour (re)développer notre langue.
  • Les exemples du Pays Basque, du Luxembourg ou de la Suisse peuvent nous inspirer.
  • Le théâtre demeure le premier vecteur de maintien de notre dialecte, un facteur régional d’importance unique en France, suivi par la chanson… bien devant l’écriture.

L’espoir est permis et l’initiative doit être locale.

s ìsch e gànz g’fìtzter Òwe gewànn ! Mìt’nànder kënne m’r màche dàss ‘s elsassische witersch labt.

Olivier Félix Hoffmann, avril 2025
Surnommé « l’Ethnopoète-chanteur alsacien », Olivier Félix Hoffmann a publié 5 albums musicaux multilingues ou 7 recueils – dialecte et français – et a obtenu diverses récompenses au niveau national et régional. Anthropologue-philosophe ayant étudié les Langue et Culture Régionales à l’Université de Strasbourg et travaillé sur feu-André Weckmann. Membre cofondateur du Festival Summerlied et animateur du « Salon des Auteurs & Artistes au Dojo » dans son propre dojo japonais.

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