« En même temps » comme il le revendique, Emmanuel Macron alterne entre le meilleur et le pire. Et vient encore de le démontrer.
Emmanuel Macron à Strasbourg le 23 novembre 2024
Ce Président aime les commémorations. Les 80 ans de la libération de Strasbourg étaient donc une occasion à ne pas manquer. Et il en a fait une journée mémorable. Son discours au Palais Universitaire a d’abord rendu hommage aux Malgré-nous alsaciens et mosellans, une première dans la bouche d’un Président de la République, en reconnaissant que « ces enfants de France […] avaient vécu un supplice […], au service d’une cause qui les rendait esclaves […], instruments d’un crime qui les tuait aussi. ».
Emmanuel Macron a ensuite annoncé l’entrée au Panthéon de Marc Bloch (1886-1944), éminent historien français d’origine juive alsacienne, professeur à l’Université de Strasbourg de nombreuses années (1919-1936), et qui mourut aux mains de la Gestapo par suite de son engagement dans la Résistance. Et le Président a fini la journée en visitant le camp d’extermination du Struthof et le Mémorial d’Alsace-Moselle à Schirmeck, ce qu’aucun Président n’avait fait depuis Jacques Chirac en 2004 pour le soixantième anniversaire de la Libération.
Rien à redire, rien à rajouter : ce parcours présidentiel est ce qu’attendaient les Alsaciens pour l’occasion.
Emmanuel Macron à l’Académie française le 13 novembre 2024
L’Académie française est une institution des plus productives : elle publie un dictionnaire de la langue française tous les 40 ans. Il était donc bien naturel que le Président fasse le déplacement pour cet évènement extraordinaire : le lancement officiel de la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française – la première édition datant de 1694.
Plus étonnant a été le discours présidentiel, à la fois étroitement nationaliste et cependant en rupture avec le « roman national ». Emmanuel Macron a déclaré que « la Nation a été constituée par l’État et la langue. La langue a été le creuset de l’unité du pays […], la fabrique de la Nation. Les langues régionales étaient un instrument de division ». Mais ce qui est vérité ici ne l’est pas ailleurs pour Emmanuel Macron : parler français au Canada, où le français est langue régionale, c’est « faire acte de résistance » contre l’hégémonie de l’anglais.
En ce 21ème siècle, on espèrerait du Président de la République une vision plus large de la société française, une vision qui fasse de la place à la diversité, à l’inclusion dans notre pays, et non pas une apologie de l’impérialisme culturel français depuis le Moyen-Âge.
Le plus bizarre est cependant l’inversion qu’opère Emmanuel Macron entre la France et l’Allemagne dans leurs conceptions de la nation. La nation allemande s’est traditionnellement définie par l’ethnicité et la langue, et c’est en son nom que l’historien prussien Theodor Mommsen réclamait le retour de l’Alsace à l’Allemagne dès l’été 1870. L’historien français Fustel de Coulanges lui répondit aussitôt qu’il importait peu que les Alsaciens parlent allemand et même aient été conquis de force, ils étaient Français parce qu’ils avaient décidé de l’être, et ce depuis la Révolution. Et il écrivit même :
« La langue n’est pas non plus le signe caractéristique de la nationalité. On parle cinq langues en France, et pourtant personne ne s’avise de douter de notre unité nationale. »
(Fustel de Coulanges, 27 octobre 1870)
Apparemment, le Président Emmanuel Macron ne partage pas cet avis. Pourtant, Napoléon Ier disait la même chose que Fustel de Coulanges en parlant de ses soldats alsaciens. : « Qu’ils parlent allemand pourvu qu’ils sabrent français ! » On est Français par adhésion, par désir d’appartenance. Cela reste la conception officielle française aujourd’hui encore – même si la réalité historique est souvent éloignée de ce « roman national ».
Ironie de l’histoire : le Président de la France prend le parti du prussien Mommsen plutôt que celui de Fustel de Coulanges. Qui eut cru cela de la part d’un Président de la République ? Emmanuel Macron a ici tout faux : il réduit la France à un passé impérialiste révolu, au lieu de la projeter dans le futur en la faisant s’accepter dans sa diversité.
Benoît Kuhn, 26 novembre 2024
