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Financement de la mosquée turque à Strasbourg : le droit local victime collatérale
droit local et financement mosquée turque
Le chantier à l’arrêt de la Mosquée Eyyub Sultan de l’association turque Milli Görüs à la Meinau
Photo: Alsace.news DR

Les errements de la municipalité de Strasbourg en mars-avril 2021 n’ont pas abimé que sa seule image. Celle du droit local en a aussi pris un coup, beaucoup d’Alsaciens estimant que le mieux pour éviter de financer des mosquées serait de supprimer le droit local… C’est comme si, pour supprimer les accidents de la route, on réduisait la vitesse maximum non pas à 80km/h mais carrément à zéro ! Ce serait « jeter le bébé avec l’eau du bain » comme le souligne Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut de droit local alsacien-mosellan et ancien président du tribunal administratif de Strasbourg. En Alsace-Moselle, les dispositions concordataires étendues aux 3 religions reconnues subsistent et autorisent de plus des liens positifs entre collectivités et tous les cultes : les premières peuvent financer les seconds dans un esprit de vivre-ensemble et de cohésion sociale.

La loi de 1905 nie le rôle social et culturel des religions

La loi de 1905 est quant à elle offensive, elle institutionnalise la disparition des religions de l’espace public surtout au travers des deux articles suivants :

Article 19 : « Les associations formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte {…} ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’Etat, des départements et des communes », sauf pour entretien des bâtiments de cultes.

Dans un pays où la moindre association culturelle est subventionnée, aussi exotique que soit son projet, cet article veut clairement étrangler financièrement les cultes pour les faire disparaître.

Article 28 : « Il est interdit {…} d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »

Cette pression fait que, même en Alsace, les traditions disparaissent : plus de cantiques en fonds sonore sur les marchés de Noël, certains militent même pour que le mot « Christkindel » disparaisse de la dénomination « Christkindelmärik » à Strasbourg. Le mercantilisme oui, mais la tradition liée à la religion visible dans l’espace public, vous n’y pensez pas ! Or on sait ce qui arrive à ce qui est interdit de visibilité : il s’étiole et disparaît, comme le dialecte alsacien depuis 70 ans. Et remarquons au passage que, si la France a les plus fortes tensions religieuses en Europe occidentale, il y a peut-être une raison…

Christkindelsmärik… ou simplement « Marché de Noël » comme le voudraient des militants laïcs?
Photo: Alsace.news DR

Le droit local est un droit positif

Notre droit local est en effet un droit positif : il permet de subventionner, mais n’oblige pas à le faire. Sauf l’obligation, dérivée du concordat napoléonien et étendue aux cultes protestants et israélite, de financer les salaires des ministres de ces cultes : prêtres, pasteurs, rabbins. Pour le reste, les collectivités territoriales en Alsace-Moselle ont le droit de subventionner tous les cultes puisque la loi de 1905 interdisant de telles subventions ne s’y applique pas. C’est d’ailleurs la pratique depuis de nombreuses années, par exemple pour la Grande Mosquée de Strasbourg inaugurée en 2012 à la Meinau.

Mais il n’y a pas d’obligation de financer, pas d’automatisme dans la subvention. C’est le principe même d’une subvention de se justifier par l’intérêt public, analyse Jean-Marie Woehrling, et d’entrainer des obligations en retour pour le subventionné. Il y a même obligation de signer une convention qui définit tous les aspects et conditions de cette aide, souligne Robert Hertzog, professeur émérite de droit public. Et le fait que le bénéficiaire soit une association cultuelle plutôt qu’une association culturelle, sociale ou même une entreprise ne change rien. La règle veut aussi que les subventions soient attribuées avant le commencement des travaux, alors que ceux-ci sont ici bien avancés mais à l’arrêt depuis 18 mois parce que les dons espérés de pays arabes ne sont pas venus.

Les collectivités territoriales subventionnent les édifices de culte pour des motifs d’intérêt général : contribuer à l’ordre public, la paix sociale, la bonne intégration des populations concernées. Elles ont le devoir de s’assurer que ces objectifs sont et seront remplis par le bénéficiaire, qu’on est bien dans un accord « donnant-donnant » comme le résume Jean-Georges Trouillet dans la tribune d’Unser Land sur le sujet.

C’est là l’erreur de la majorité municipale de Strasbourg dans cette affaire : ne pas s’être posée de questions sur ce projet de mosquée, son gigantisme, ainsi que les visées politiques du gouvernement turc par derrière. Redisons-le : on a là une erreur d’application, pas de principe.

Pour éviter de répéter l’erreur, Unser Land propose de son côté une solution institutionnelle : laisser les Alsaciens eux-mêmes décider des critères de financement des cultes, ce qui impliquerait que la Collectivité européenne d’Alsace et la Moselle puissent faire évoluer le droit local ou au moins sa pratique. Faire évoluer le droit local lui-même nécessiterait une modification de la Constitution, analyse Robert Hertzog qui juge cette proposition d’autant moins réaliste que « les cultes préfèrent encore la situation actuelle à celle où des élus locaux feraient un droit des religions selon leurs conceptions et les promesses faites dans une campagne ». Mais n’est-ce pas justement ce que nous venons de vivre avec l’aller-retour de la municipalité sur le sujet?

En tout cas, cette subvention de 2,6 millions d’euros, s’accordent à dire Jean-Georges Trouillet et Jean-Marie Woehrling, eut été mieux investie dans le développement du bilinguisme et de l’enseignement de l’alsacien et de l’allemand, au moins aussi porteurs pour le bien-vivre ensemble.

Benoît Kuhn, avril 2021

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