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Hommage à Daniel Hoeffel

Daniel Hoeffel, décédé à 96 ans ce mois d’octobre, est unanimement salué pour son œuvre politique et pour sa personnalité exceptionnelle. Sa carrière politique l’a mené à des responsabilités dans presque toutes les institutions de la République : maire de Handschuheim pendant près d’un demi-siècle, membre de diverses structures intercommunales, président de département, ministre des transports et ministre chargé des collectivités locales, sénateur sur 27 ans et premier vice-président de la Haute Assemblée, conseiller régional pendant une courte période, président de l’association des maires du Bas-Rhin et de l’association nationale, sans compter des fonctions dans de nombreux organismes d’intérêt général.

Ces cumuls, naturels à l’époque, témoignent d’une rare force de travail et d’une large reconnaissance des qualités de l’homme.

Daniel Hoeffel et Robert Hertzog
Daniel Hoeffel s’exprimant avec Robert Hertzog en spectateur

Un ancrage à Handschuheim

Si par sa famille Daniel Hoeffel était prédestiné à entrer en politique, cela ne s’est fait qu’assez tardivement. Il devint maire de Handschuheim en 1965, successeur naturel de son père. Il est ensuite arrivé à la politique par une voie originale : l’économie qui n’a jamais été très éloignée dans ses fonctions, notamment lorsqu’il a présidé de longues années l’ADIRA (alors agence de développement économique du Bas-Rhin -ndlr). Secrétaire général de la Chambre Patronale, il se fit connaître et apprécier par les acteurs de la vie alsacienne.

Lorsque fut installé le Comité économique et social prévu par la loi du 22 juillet 1972 sur les établissements publics régionaux, Daniel Hoeffel en fut logiquement nommé membre en 1973. Il s’y imposa par sa connaissance des dossiers, sa hauteur de vue et sa capacité à trouver des solutions de conciliation. Porté à sa présidence de 1976 à 1977, il y acquit une stature nouvelle. Il nous a confié à plusieurs reprises que ce fut un moment important de son parcours public.

Daniel Hoeffel, sénateur et ministre…

En 1977, aux élections sénatoriales, il mena  une liste d’union CDSRPR et se fit immédiatement un nom à Paris en étant nommé dans le gouvernement de Raymond Barre, d’abord comme secrétaire d’État auprès de Simone Veil,  puis comme ministre des transports.

Daniel Hoeffel a été spécialement attaché à son poste de Ministre délégué chargé de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales, du 30 mars 1993 au 11 mai 1995. Il put y faire fructifier son expérience d’élu local mais cela lui a surtout apporté une précieuse connaissance de l’administration territoriale de la France. Le ministre d’Etat, Charles Pasqua, lui avait confié la responsabilité d’élaborer ce qui devint la grande loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire. Il avait, à cette occasion, parcouru tout le pays pour débattre avec des élus locaux et régionaux avec qui il a fallu innover pour concilier intérêts nationaux et locaux.  

… et Président du Conseil général du Bas-Rhin

Les élections cantonales de 1979 marquèrent son véritable baptême politique lorsque, dans une circonscription de Strasbourg, initialement vacante, il dut affronter André Bord, l’homme fort du gaullisme en Alsace, qu’il battit de haute lutte. Cela lui ouvrit la présidence du Conseil général du Bas-Rhin, qu’il assuma jusqu’en 1998 et qui fut sa fonction emblématique. Après l’alternance politique de 1981 Daniel Hoeffel fut un des piliers de la « majorité alsacienne », en fréquente opposition avec le pouvoir central. Il profita cependant de la loi Deferre de décentralisation de 1982 qui transformait radicalement l’administration départementale pour réorganiser profondément celle du Bas-Rhin.

Hôtel du département strasbourg
Hôtel du département du Bas-Rhin (maintenant de la Collectivité européenne d’Alsace) à Strasbourg

Une des rares décisions discutées de Daniel Hoeffel concerna le choix du matériau revêtant le nouveau bâtiment dans lequel emménagèrent les services départementaux pour mettre fin à la cohabitation avec les services du préfet, place de la République. La couleur noire fut critiquée et surprit de la part d’un homme réputé plutôt classique. Daniel m’en parla à plusieurs reprises. Il s’était rendu aux arguments de l’architecte Jean Nouvel selon qui ce revêtement était le plus durable et économe d’entretien, ce qui s’est vérifié.

Une fonction à laquelle Daniel Hoeffel a attaché beaucoup de prix fut la présidence de l’Association des maires de France de 2002 à 2004 qu’il avait à cœur de vouloir continuer en se représentant aux élections sénatoriales de 2004. Son échec l’amena à mettre fin à sa vie politique ; il a reconnu que c’était probablement la candidature en trop face à une génération plus jeune. Lors du court passage à l’AMF il a pu néanmoins lui imprimer une orientation plus européenne et internationale.

Une mention spéciale doit être faite au rôle de Daniel Hoeffel dans les relations franco-allemandes. Elles se sont principalement déployées dans la coopération transfrontalière où l’Alsace a été pionnière avec des institutions dont il a soutenu le développement (Pamina, Infobest, Euro Institut). Il était très respecté par les dirigeants allemands, avec qui il est resté en contact jusqu’à très récemment, y compris par des visites sur place. Excellent orateur germanophone, il a contribué à l’amitié franco-allemande au-delà de son implication dans la coopération transfrontalière.

Contre la dilution de l’Alsace dans le Grand Est

J’ai eu l’honneur de nouer des relations amicales et suivies avec Daniel Hoeffel à l’occasion de notre saisine du Conseil d’Etat, en octobre 2015, pour demander l’annulation du décret convoquant les électeurs pour désigner les conseillers régionaux. Nous invoquions la violation par la loi de fusion des régions de la Charte Européenne de l’autonomie locale, traité international ratifié par la France et de valeur supra législative qui impose la consultation des collectivités territoriales avant toute modification de leur périmètre.

Daniel était heureux de pouvoir montrer ainsi son hostilité à un texte qui diluait l’Alsace dans une méga région sans raison. Pour un motif resté mystérieux la Haute juridiction administrative s’est déclarée incompétente pour se prononcer alors que quelques semaines plus tard le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a dénoncé formellement la violation du traité par la France. Cela nous a fait ensuite nous rencontrer avec une certaine périodicité et m’a permis de mieux connaître et admirer l’homme.

Son hostilité à des régions surdimensionnées et sans âme n’a pas varié, car il les jugeait inappropriées pour mener de bonnes politiques régionales et trop favorables à un pouvoir centralisateur. Il l’a exprimé avec force en présidant, le 12 janvier 2019, l’Assemblée générale constitutive du Mouvement pour l’Alsace (MPA), dans une de ces formules dont il avait le secret : Mer wessa nach was mer verliara. Nous, nous savons encore ce que nous perdons. Il s’est souvent désolé de constater la justesse de son affirmation.

Daniel Hoeffel était exceptionnel dans le monde politique en raison de qualités peu communes. L’orateur était connu pour son style très personnel : un exposé toujours bien charpenté, généralement en trois points, clair et prononcé avec conviction et autorité. Un trait marquant était sa grande simplicité. Il avait un contact direct et ouvert avec des personnes de toutes origines car il écoutait et dialoguait, y compris en alsacien. Il aimait les gens ; sa connaissance des dynasties familiales était époustouflante. Toute aussi impressionnante était sa capacité à évaluer les personnes, notamment les dirigeants. Parmi cent exemples, cette phrase de 2017 à propos du nouveau Président de la République : « Ce garçon finira mal ! ». Il lisait beaucoup et se tenait informé de tout. A neuf heures du matin il avait lu toute la presse et fait sa synthèse personnelle avec un regard acéré sur les affaires publiques.

Sa prodigieuse mémoire, y compris à l’âge le plus avancé, l’a beaucoup servi. Elle faisait de chacune de nos rencontres une leçon d’histoire de la France contemporaine. J’ai essayé, comme tant d’autres, y compris dans sa famille, de l’inciter à rédiger ses mémoires qui auraient eu une grande valeur historique. Il s’y est refusé pour des motifs qui lui appartiennent, mais où je soupçonne une part d’humilité.

Si Daniel Hoeffel a été unanimement loué pour sa tolérance, son intégrité, sa droiture et le respect des valeurs, cela n’est pas sans relation avec sa vie spirituelle et sa foi. Il avait des convictions, une morale de la vie sans rigorisme ni affectation mais fermement ancrée qui inspirait le respect et lui conférait une autorité naturelle. Protestant par tradition familiale, il était pratiquant et il a jusqu’à la fin porté une grande attention à la vie de l’Eglise. Il a présidé pendant de longues années la Commission de l’action sociale, politique et économique (CASPE) de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL).

Une belle et grande figure alsacienne. Mer wessa wer mer verliara.

Robert Hertzog – 28 octobre 2025
Agrégé de droit public et de science politique, Expert auprès du Conseil de l’Europe, ancien maire adjoint de Hoenheim, secrétaire général du Mouvement pour l’Alsace (MPA)

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