Les Alsaciens, c’est comme les Russes : ils ont tout inventé. L’imprimerie, la statue de la liberté (Bartholdi), la tour Eiffel (Koechlin, ingénieur en chef de Gustave Eiffel) et même La Marseillaise ! Certes, son auteur Rouget de Lisle n’était pas alsacien mais il a créé son chant de guerre à Strasbourg en 1792 sur une commande du maire Frédéric de Dietrich pour galvaniser l’Armée du Rhin. Et ce n’est pas le seul lien de La Marseillaise avec l’Alsace comme le montre l’exposition au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg (MAMCS) jusqu’au 20 février 2022.
Cette exposition n’est pas une exposition nationaliste mais une exposition citoyenne, précise Paul Lang, directeur des musées de Strasbourg. On y explore plutôt l’imaginaire autour de La Marseillaise et les liens entre musique, arts (y compris cinéma) et société au travers d’un parcours chronologique et thématique de 1792 à nos jours. L’entrée de l’exposition, où trône un moulage du Génie de la Patrie de Rude (l’original est sur l’Arc de triomphe à Paris) est déjà un exemple de l’imagerie guerrière et révolutionnaire associée à La Marseillaise.
Pourquoi « La Marseillaise » ?
Le chant est repris dès l’été par les fédérés marseillais qui montent à Paris et vont aider à prendre d’assaut le palais des Tuileries le 10 août 1792, marquant ainsi la fin de la monarchie. Le chant de guerre devient ainsi célèbre et associé aux Marseillais pour toujours. Et il devient vite un hymne officiel : vainqueur à Valmy le 20 septembre 1792, le maréchal alsacien Kellermann (le même qu’on enverra massacrer les populations de Vendée en 1793) reçoit l’ordre de célébrer cette victoire avec La Marseillaise. Repris systématiquement pas les armées françaises à travers l’Europe, l’hymne révolutionnaire impressionne notamment Goethe en 1793 lors de la prise de Mainz/Mayence.
Trop révolutionnaire, La Marseillaise est interdite sous l’Empire, la Restauration et le Second Empire, mais ressurgit à chaque fois lors des défaites et révolutions marquant la fin de ces régimes. Sa popularité reste intacte
Son interprète la plus célèbre au milieu du XIXème siècle est la cantatrice Rachel, juive alsacienne prédécesseur de Sarah Bernhardt. Et sa statue avec le drapeau préfigure la pose classique des « Marianne » chantant La Marseillaise depuis un siècle et demi.
Devenue hymne national en 1879, elle en perd son caractère révolutionnaire et les socialistes lui préfèrent vite l’Internationale (composée en 1888). Il lui reste son caractère guerrier qui sera largement utilisé dans une France revancharde et nationaliste.
Plus tard, la Résistance se l’approprie contre Vichy et lui réattribue la première valeur révolutionnaire, la Liberté. Chanter La Marseillaise est aussi un acte de résistance en Alsace occupée qui peut vous valoir la peine de mort.
La Marseillaise et la Liberté
Voilà bien une relation ambigüe, comme le montre l’exposition. La Révolution puis l’Empire prétendent libérer les peuples européens en les conquérant et les annexant. Ceux-ci ne sont pas longtemps dupes, et les prétentions françaises sur la rive gauche du Rhin, renouvelées en 1840, stimulent le nationalisme allemand et suscitent un hymne en sens contraire, Die Wacht am Rhein/La Garde sur le Rhin (1840) qui tient lieu d’hymne allemand officieux pendant un bon siècle. La Marseillaise inspire néanmoins de nombreux révolutionnaires à travers le monde, y compris ceux luttant contre le colonialisme français !
Mais il ne fait pas bon prendre des libertés avec ce symbole de la France. Serge Gainsbourg, qui en sort une version reggae en 1979, en fait l’expérience. Sa provocation ayant suscité la colère de beaucoup de nationalistes, il est contraint d’annuler son concert de janvier 1980… à Strasbourg à cause d’une alerte à la bombe. La Marseillaise et Strasbourg, c’est décidément une longue histoire.
Benoît Kuhn, décembre 2021