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Région Alsace : étriquée, vous avez dit étriquée ?

Associer l’adjectif étriquée à « Région Alsace » a été inventé en 2022 par J. Rottner, alors président du Grand Est. Ce terme dédaigneux a été repris lors de l’inauguration de la Foire européenne de Strasbourg par un haut fonctionnaire (ndlr-le préfet de région Jacques Witowski), qui a oublié son devoir de réserve, et ensuite dans une interview de Franck Leroy, actuel président du Grand Est, qui ne manque jamais une occasion de persifler sur le sujet.

Etriqué : minuscule, trop limité ou d’ampleur insuffisante, disent les dictionnaires. L’usage du terme est ici tellement faux et inapproprié qu’il délégitime le discours de ceux qui l’utilisent.

L’image qu’on veut imposer est l’argument constamment asséné selon lequel la méga-région serait puissante en raison de sa taille, alors même que l’excès et l’artificialité de celle-ci sont la matrice de tous ses défauts, la fusion n’ayant en rien modifié les compétences. Répéter les fables sur la prétendue « taille européenne » des régions qui avaient servi en 2014 à justifier les fusions est avouer, dix ans après, qu’on ne sait toujours pas quels bénéfices réels résultent de cette opération.

L’Alsace, une « région parfaite »

L’ancienne région Alsace était trop limitée, comme beaucoup d’autres régions françaises et comme le sont la Corse et les régions d’Outre-Mer ? Etriquée comme le Luxembourg,  la Sarre, Brème ou Berlin, les cantons suisses, plusieurs régions italiennes, des Länder autrichiens, voire Singapour ? En vérité, la dimension géographique d’une entité politique ne détermine en rien ses capacités de rayonnement et d’innovation ou son poids économique.

Selon les standards internationaux, une région doit présenter les caractères suivants : un territoire identifiable et qui fait sens, une histoire, des traits culturels et économiques distinctifs, une capitale visible de loin, un sentiment d’appartenance et de solidarité partagé dans la population. Le Grand Est, comme toutes les régions fusionnées, n’a aucun de ces caractères. C’est un gros machin administratif, une non-région, une énorme erreur commise par F. Hollande et son conseiller puis ministre de l’Économie de l’époque, E. Macron. L’Alsace, « région parfaite », cumule tous les déterminants d’une région authentique et naturelle.

hôtel région strasbourg
L’Hôtel de la région Alsace à Strasbourg, devenu l’Hôtel du Grand Est

Les régions françaises, des institutions inachevées

Le fond du problème est ailleurs : toutes les régions françaises sont étriquées au regard de leurs compétences et de leur place dans le système public. N’existant comme collectivités territoriales que depuis 1982-1986, elles ont été établies dans ce statut sans réflexion sur leurs finalités, par pur mimétisme institutionnel avec les départements. Elles restent des institutions inachevées car depuis lors aucun travail méthodique n’a cherché à définir la bonne adéquation entre territoire, missions et ressources et aucun parti politique n’a de doctrine en la matière. La réforme bâclée des fusions illustre la désinvolture de nos dirigeants politiques puis leur incapacité à corriger les défauts d’une organisation compliquée et coûteuse

Les compétences attribuées aux régions à partir de 1983 l’ont été au fil des paquets transférés par l’Etat. A chaque fois en compétition avec les départements qui ont obtenu la part du lion dans d’obscurs marchandages au Parlement. L’ensemble est un patchwork hétéroclite dont ne ressort aucune ligne directrice. Les seules fonctions connues des citoyens sont la construction et la gestion des lycées et l’achat de matériel ferroviaire (TER), exploité par la SNCF. La plupart des missions des régions pourraient être exercées par les départements ou les intercommunalités et le sont souvent en superposition (culture, tourisme, patrimoine, environnement …).

L’agrandissement du périmètre des régions contribue à déstructurer l’institution en y multipliant les disparités et en obligeant à juxtaposer des politiques adaptées aux différents territoires. Comment imaginer une politique du tourisme ou de l’économie pour Alpes et Auvergne, Pyrénées et Languedoc, Vosges et Ardennes ?

L’accent souvent mis sur la vocation économique des régions renvoie aux anciennes « régions préfectorales » de 1964 à 1982, instruments de l’interventionnisme de l’Etat. Aujourd’hui, cela se limite à la réalisation d’études, à l’édiction de divers schémas d’une portée incertaine et dont l’utilité n’a jamais été mesurée, et dans l’attribution de subventions à des entreprises et associations ; si celles-ci apprécient l’arrosage dont elles bénéficient, l’effet sur l’économie générale est marginal.

Le principal pouvoir des régions vient de l’importance de leurs ressources financières, composées presque entièrement de dotations versées par l’Etat, qui ne sont pas absorbées par des dépenses contraintes de la collectivité comme dans les départements (social, collèges, voirie). Cela donne aux régions des marges de manœuvre qu’elles utilisent discrétionnairement.

Le Grand Est se permet ainsi un vaste gaspillage : frais de déplacement des agents et élus, dispersion des services sur plus d’une quinzaine de sites, dépenses de communication pour imposer l’image du Grand Est et sa pseudo identité, etc. Ces moyens financiers permettent aussi d’apporter des concours aux collectivités locales et à l’Etat et de peser ainsi sur leurs choix.

Le Grand Est utilise cet argent avec habileté et détermination pour asseoir son autorité et imposer son nom. Pour autant, cela n’en fait pas une puissance qui pèse en Europe. Rappelons que son budget pour 2025 est d’un peu plus de 4Mds€ quand celui de Bade Wurtemberg est de l’ordre de 65 Mds€. On est toujours l’étriqué de quelqu’un !

Faire de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA) une région exemplaire

La Région Alsace que proposent élus et associations régionalistes aurait une tout autre envergure. Cumulant les fonctions et moyens de la CeA et d’une région elle apporterait des bénéfices considérables en termes de gestion publique, de simplification et de vie démocratique.

Sur un même espace, il n’y aurait plus qu’une seule autorité pour la politique culturelle, touristique, environnementale, de coopération transfrontalière. Le dialogue avec les forces sociales et le contrôle citoyen seraient intensifiés et facilités. La suppression des doublons région/département accélèrerait, clarifierait et rendrait moins onéreux le traitement des affaires. Dans la coopération transfrontalière, face aux puissantes collectivités suisses et allemandes, cette région nouvelle aurait une unité de décision et un bloc complet de compétences là où nous voyons aujourd’hui une situation confuse et improductive. De fructueuses synergies pourraient se forger : collèges et lycées, mobilités et transports, social et économie. Et, comme cela est démontré avec une grande rigueur par l’économiste J. Ph. Atzenhoffer, il en résulterait de substantielles et durables économies, au-delà de 100 millions d’euros par an, qui seraient des moyens supplémentaires réorientés vers des services aux citoyens et entreprises. Et l’Alsace retrouverait une flexibilité financière que la CeA-département a perdue, comme tous les départements.

Fusionner départements et région pour les renforcer

La réunion départements-région est l’unique manière de renforcer les régions françaises, car il ne faut plus compter sur des transferts de compétences de l’État qui poseraient d’insurmontables problèmes de financement. Les bénéfices s’étendront aux services régionaux de l’État (rectorat, Autorité Régionale de Santé – ARS, direction de la culture, chambre des comptes, etc.) ainsi qu’aux multiples institutions organisées au niveau régional (ordres professionnels, fédérations sportives, organismes économiques). Strasbourg récupérerait des dizaines de centres de décision dont la délocalisation a gravement contribué au déclassement de la capitale européenne, sous le regard effaré de 90 représentations diplomatiques et consulaires.

Ce modèle alsacien sera une préfiguration qui aura vocation à s’étendre à d’autres territoires métropolitains, par choix des élus concernés. L’ancienne région Alsace a été à l’avant-garde de nombreuses innovations grâce à l’initiative de ses élus, comme Adrien Zeller ou Hubert Haenel. Elle peut encore l’être, pourvu qu’on la sorte du carcan actuel. La puissance que vante le Président du Grand Est est celle d’un mastodonte bureaucratique, aux compétences disparates et étroites (les régions n’ont pas de compétence générale), sans adhésion populaire, sans substance politique, car sans âme et sans histoire. Son ampleur limitée caractérise parfaitement son état étriqué. La Région Alsace serait l’exact contraire.

Robert HERTZOG, 18/09/2025
Agrégé de droit public et de science politique, Expert auprès du Conseil de l’Europe

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