Un sondage national ce mois d’août 2025 trouve les Français en phase avec le régionalisme… Voilà qui mérite d’être étudié de plus près.
Régions & Peuples Solidaires (R&PS) a bien réussi son coup pour son université d’été cette fin d’août 2025.Ce mouvement ombrelle, qui regroupe des partis régionalistes de toute la France (dont Unser Land pour l’Alsace, mais pas Alternative Alsacienne), en a profité pour dévoiler un sondage national réalisé par l’Ifop : « Radioscopie du régionalisme en 2025 ». Les résultats montrent qu’une très large majorité de Français (90% !) est consciente que la gestion de l’État central méconnait les problèmes sur le terrain ; ils sont donc favorables à 70% à plus de régionalisation.

Ces résultats ont été largement repris par les médias français et ont certainement contribué à ce que le nouveau premier ministre Sébastien Lecornu reçoive à Matignon le 19 septembre une délégation de R&PS (dont le président d’Unser Land Jean-Georges Trouillet, également vice-président de R&PS).
Beau succès donc, faut-il pour autant crier victoire ? Que nous disent exactement les sondés ?
Une notion floue du fédéralisme dans ce sondage R&PS
71% des Français seraient favorables (21% « tout à fait » et 50% « assez ») à ce que la France devienne fédérale. Mais ils ne sont plus que 55% (14% « tout à fait » et 41% « assez ») à envisager un statut d’autonomie pour certaines régions.
Pourtant, être une région autonome, c’est bien en deçà d’un état fédéré en termes de pouvoir local : décider seul de tous sujets locaux (pouvoir garanti dans la Constitution de l’État fédéral comme en Allemagne), c’est autre chose qu’une autonomie, une dévolution par l’État central de certaines prérogatives : la hiérarchie des pouvoirs n’est pas la même.
Biberonnés au centralisme depuis 4 siècles, une majorité de Français semble comprendre la notion d’autonomie, visiblement pas celle de fédération. La vision de R&PS progresse, mais ne s’est pas encore imposée.
Les Alsaciens en pointe sur les question régionalistes
Après le sondage de juin dernier d’associations régionales, les Alsaciens persistent et signent dans ce sondage R&PS: plus de 80% sont favorables aux référendums locaux, à une France fédérale, à un statut d’autonomie pour certaines régions… et au redécoupage des grandes régions. Quelqu’un pourrait-il en informer le président du Grand Est Franck Leroy, qui se plaint que personne n’aborde jamais ce sujet devant lui ?

Notons aussi qu’au niveau de l’Alsace + Moselle, les 69% de partisans d’une région Alsace sont de tous âges et de toutes catégories sociales, avec même une pointe chez les cadres (83%) et les dirigeants d’entreprise (76%) censés être les plus ouverts au monde… et aux arguments de la grande région. Quelqu’un pourrait-il le dire à Valérie Debord, vice-présidente du Grand Est en charge de pourfendre le « repli identitaire » ?
Au niveau national, le soutien est plus mesuré : 68% des Français sont favorables à un redécoupage éventuel de grandes régions, mais quand on passe aux régions concernées, l’approbation passe en -dessous des 60% (sauf pour la Savoie !) : une faible majorité (55%) soutient l’autonomie de la Corse ou une nouvelle région Alsace. Ce soutien est largement transgénérationnel et même transpartisan, la cause de l’Alsace atteignant quand même 49% chez LFI et 56% chez les Écologistes. Quelqu’un pourrait-il en informer Jeanne Barseghian et Sandra Regol, respectivement maire et députée écologistes de Strasbourg ?
Les électeurs RN sont les plus régionalistes
Paradoxe pour un parti nationaliste : ses électeurs sont ceux qui veulent le plus de décentralisation. Ils estiment à 79% que les collectivités locales n’ont pas assez de pouvoir. Ils sont pour que les régions puissent adapter les lois (79%), pour la reconnaissance officielle des langues régionales (80%), pour le redécoupage des grandes régions (pour une région Alsace : 79% en Alsace + Moselle vs 59% nationalement), pour l’autonomie de la Corse (74% en Corse vs 58% nationalement). L’état-major du parti (Marine Le Pen et Jordan Bardella) en tiendra-t-il compte ? Leur porte-parole et député de Moselle Laurent Jacobelli a quant à lui déjà promis le retour d’une région Alsace en cas de victoire de son parti.
L’histoire et la langue régionales plébiscitées
Les Français adhèrent massivement aux grands principes : reconnaissance officielle des langues régionales (77% – score inchangé depuis 25 ans !), enseignement à l’école de l’histoire régionale (84%) et des langues régionales dans les territoires concernés (81%). Un peu moins aux conséquences pratiques : co-officialité des langues régionales (64%), enseignement obligatoire (sauf demande des parents) de la langue régionale (55%), usage de la langue régionale dans les assemblées locales avec traduction simultanée (51%). Là encore, ce soutien est transgénérationnel et transpartisan ; il ne dépend pas non plus du niveau de diplôme ou de la catégorie sociale.
On retrouve les mêmes inclinations en Alsace, avec 10-20% en plus de la moyenne nationale : 78% pour l’enseignement obligatoire de la langue régionale à l’école (sauf demande des parents), 68% pour la langue régionale dans les assemblées locales. Et 93% pour l’enseignement à l’école de l’histoire régionale ! Quelqu’un pourrait-il le signaler à Frédéric Bierry, président de la CeA, et Nicolas Matt, vice-président en charge du bilinguisme, lesquels viennent de supprimer officiellement l’option Culture régionale dans les lycées d’Alsace ?
Un désamour de l’État central, pas de la Nation
Un État central trop déconnecté des réalités locales (90%) et prenant mal en compte les intérêts des territoires (65%), des médias trop concentrés sur Paris (82%). Ce constat est partagé à peu près également dans toutes les régions. Seules les institutions européennes trouvent un peu plus grâce aux yeux des Alsaciens (40% versus 30% nationalement).
Pourtant le sentiment national ne faiblit pas (55% principalement attachés à la France), au contraire, et se maintient à un niveau deux fois plus élevé que le sentiment régional (27%). Là encore, les Alsaciens se distinguent quelque peu en priorisant à 43% la région au contraire des habitants de l’Ile-de-France (9%). Les Alsaciens se situent ici au même niveau que les Bretons et les Basques mais en-dessous des Corses (57%).
En conclusion, les chiffres de ce sondage font globalement croire à un plébiscite des idées régionalistes par l’ensemble des Français. Dans le détail, c’est plus nuancé : les grands principes de la décentralisation progressent certes avec la frustration née de l’ineptie de l’État central, mais l’adhésion à des idées concrètes (autonomie de certaines régions, mise en pratique des langues régionales à l’école et dans les assemblées locales) n’est pas si flagrante.
Il faut encore que les partis régionalistes, notamment en Alsace, rassurent nos concitoyens en leur montrant les bénéfices d’une gestion locale autonome. Éducation, santé, environnement/aménagement du territoire : quelles mesures concrètes mettre en œuvre immédiatement, avec quels moyens, et pour quels avantages concrets pour les habitants ? Le « programme de gouvernement » reste à préciser. Sinon, beaucoup de Français – et d’Alsaciens – continueront de fantasmer des « atteintes à l’unité nationale »… avec les encouragements des grands partis nationaux désireux de garder leurs suffrages aux prochaines élections.
Benoît Kuhn, septembre 2025