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Suppression de l’option Culture régionale dans les lycées d’Alsace

C’est l’histoire d’une faute politique… où la Collectivité européenne d’Alsace tient le premier rôle. Par un courrier daté du 3 juillet 2025, le recteur de l’académie de Strasbourg a informé les proviseurs de lycées qu’en raison d’arbitrages budgétaires, l’enseignement de l’option Culture régionale (CR) est supprimé à la rentrée 2025. Une mesure – qui ne concerne que l’Alsace – aux allures de scandale.

L’option Culture régionale CR, de quoi s’agit-il ?

En seconde, première et terminale, une option est un enseignement complémentaire que les lycéens peuvent choisir librement parmi celles que leur propose leur établissement, en plus des matières obligatoires comme le français ou les mathématiques et les spécialités. Une option – comme par exemple les arts du cirque – s‘ajoute à l’emploi du temps contraint : c’est dire la motivation des lycéens qui choisissent volontairement de la suivre.

visuel illustrant un manuel pour l'option Culture régionale en Alsace

Parmi lesdites options figure celle intitulée Culture régionale (CR). En Alsace, elle est proposée dans 12 des 97 lycées que compte l’académie de Strasbourg. Quelque 25 enseignants dispensent cette option à raison d’une heure par semaine. Durant la dernière année scolaire 2024-2025, elle a été suivie par 589 lycéens.

Au passage, on se gardera de ne pas confondre l’option CR avec la spécialité Langue régionale d’Alsace (LRA) – autrement dit, les dialectes alamans et franciques – qui constitue une langue vivante C  au même titre que le russe ou le coréen – mais qui n’est proposée dans aucun lycée alsacien, faute… d’enseignants qualifiés (ndlr – en allemand aussi on manque d’enseignants comme le souligne la récente intervention de Brigitte Klinkert)

Revenons à l’option Culture régionale. Une certaine latitude est laissée aux enseignants quant au contenu de leurs cours – dispensés en français avec parfois une approche dialectale – dès lors qu’il respecte les 8 notions fondamentales (Identités et échanges ; Espace privé, espace public ; Art et pouvoir ; etc.) et communes à toutes les matières, fixées par le ministère de l’Éducation nationale. Sont ainsi abordés l’œuvre d’Albert Schweitzer, la Haut-Koenigsbourg, les Malgré-nous, le patrimoine architectural… Même des visites de lieux de mémoire sont organisées par les enseignants, particulièrement investis.

Enfin, pour être complet, notons que l’option Culture régionale est également proposée dans les collèges. Durant la dernière année scolaire 2024-2025, elle a été suivie près de 4 000 collégiens en Alsace.

Une agonie programmée

La nécessité de prendre en compte l’enseignement des langues et cultures régionales émerge dans la foulée de la loi de décentralisation de 1982. Cette année là, en déclinaison d’une circulaire ministérielle – le ministre de l’Education nationale est alors Alain Savary – le recteur Pierre Deyon initie en Alsace une politique ambitieuse en faveur de l’enseignement de l’allemand et crée, dès 1983, une option langue et culture régionales dans les collèges et lycées.

En 2012, cette option est suivie par 1 584 lycéens en Alsace. Pour obtenir une note comptant pour le bac – les points au dessus de la moyenne entrent dans la note finale – les candidats doivent rédiger et soutenir – en français, en allemand ou en dialecte – un mémoire devant un jury.

En 2020, la mise en application de la réforme du bac (dite réforme Blanquer) va profondément modifier la situation : en créant une spécialité Langue régionale d’Alsace à statut de 3e langue vivante (LV C) d’une part mais, surtout, l’option Culture régionale ne rapporte plus de points au bac ! Et l’option n’est plus soutenue devant un jury mais est évaluée sous forme de contrôle continu.

En supprimant les points au bac, le ministère de l’Éducation nationale aurait voulu tuer l’option Culture régionale dans les lycées qu’il n’aurait pas agi autrement.

Le coup de grâce

En Alsace, le financement de l’enseignement optionnel « Culture régionale » est assuré par un fonds langue et culture régionales jusque-là abondé par l’Etat (400 000 €), la région Grand Est (1 M€) et la Collectivité européenne d’Alsace (CeA) (2 M€) ».

Par une lettre de 8 lignes datée du 3 juillet 2025 – c’est l’été ! –  Isabelle Wolf, déléguée de région académique aux relations européennes, internationales et à la coopération annonce brutalement aux 14 proviseurs de lycées alsaciens concernées que « le fonds LCR ne permettra pas de financer l’enseignement de culture régionale en lycée en 2025-2026 » (sic).

Interrogé par Alsace.news, Nicolas Matt, vice-président de la CeA en charge de la Jeunesse, du Sport, de la Réussite éducative et du Bilinguisme précise : si l’option Culture régionale ne sera plus proposée aux lycéens entrant en seconde à la rentrée 2025, les 584 lycéens de première et de terminale, déjà engagés, pourront la mener à terme ; moyennant la délivrance… d’un certificat.

Une faute politique grave

C’était pourtant prévisible ! Si l’option CR suivie par 4 000 collégiens – elle n’est, pour l’instant (?) – pas remise en question dans le secondaire – chute à 584 lycéens, c’est tout simplement parce qu’elle ne rapporte plus de points au bac ! Invoquer aujourd’hui ce prétexte pour la supprimer relève d’un cynisme sans nom. Tout comme le contexte budgétaire national puisque l’argent affecté au fonds LCR n’est pas une économie : il est simplement attribué à d’autres dispositifs…

Voilà donc une CeA qui, par la voix de son président, Frédéric Bierry, s‘époumonne à vanter son engagement pour l’Alsace et se plaint du mépris de Paris quant à la volonté pourtant clairement exprimée des Alsaciens à sortir de la Région Grand Est qui, en pleine année du bilinguisme (!), décide de ne plus financer un enseignement de culture régionale. Quant au Grand Est, les conseiller(ère)s régional(aux) alsacien(ne)s, atones sur le sujet, laissent faire. Pour le rectorat enfin, bon débarras, tant cette option vient heurter la vocation assimilatrice de l’Éducation nationale : oubliés, le Reichsland Elssas-Lothringen, la Constitution de 1911 et les Feldgrauen alsaciens ; que le 11 novembre, les petits Alsaciens continuent à lire servilement des lettres de poilus, morts pour « libérer l’Alsace »…

Car enfin, si cet « apprentissage de l’Alsace » ne concerne pas nos jeunes, alors qui d’autre ?

A l’heure où la CeA lance des initiatives à l’efficacité discutable pour tenter de sauver nos dialectes, renoncer à faire (re)découvrir l’Alsace aux lycéens constitue incontestablement une faute politique.

Réenchanter l’option Culture régionale d’Alsace

La solution est simple. Il s’agit, d’abord, d’obtenir du ministère de l’Éducation nationale que l’option Culture régionale retrouve son statut d’avant la réforme Blanquer et compte pour le bac. Il s’agit ensuite d’en redéfinir le contenu pour assurer une solide formation de nos jeunes quant à cette singularité historique, culturelle, linguistique et socio-économique de l’Alsace qui l’ancre profondément dans l’espace rhénan, tout en ouvrant des perspectives professionnelles. Quitte à augmenter le volume horaire d’enseignement. Enfin, que les mots se traduisent en engagements financiers, tant de la part de l’État que de la Région Grand Est et de la CeA.

D’autant qu’un remarquable sondage réalisé par l’Ifop à la demande de la fédération Régions et Peuples solidaires (R&PS) publié ce mois-ci montre que les citoyens (84 %) – alsaciens en particulier (93%) – soutiennent l’enseignement de l’histoire régionale en complément de l’histoire nationale. Tout est dit.

Il reste aux financeurs (ce sont nos impôts…) et à l’Éducation nationale de cesser d’imposer au peuple des visions idéologiques déconnectées des réalités pour être – enfin ? – à son écoute et revoir leur copie pour une option Culture régionale réenchantée dès la rentrée… 2026.

Éric Mutschler – 3 septembre 2025
Éric Mutschler a une double formation de juriste et de communicant. Ancien maître de conférences associé et cadre associatif, il est conseil en communication


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