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Une politique linguistique pour l’Alsace

Alors que la Collectivité européenne d’Alsace aborde le sujet de la politique linguistique en Alsace en mettant en place un réseau de responsables linguistiques (un « ambassadeur » par canton), nous reproduisons ici l’exposé de Thierry Kranzer sur la politique linguistique présenté le 12 mars à l’université d’hiver d’Unser Land. Structurées, nourries de comparaisons avec d’autres régions, les propositions de Thierry Kranzer devraient attirer l’attention de tous les responsables en Alsace, d’autant qu’elles recoupent plusieurs objectifs mis en avant par le président Frédéric Bierrry.

Thierry Kranzer politique linguistique université d'hiver 2022 Unser Land
Thierry Kranzer à l’université d’hiver d’Unser Land le 12 mars 2022 -Photo: alsace.news

Une politique linguistique repose à la fois sur des objectifs chiffrés dans le temps et dans l’espace et des moyens adaptés à la réalisation de ces objectifs. Et ne nous y trompons pas : avec l’interruption de la transmission de l’alsacien dans les familles, c’est la politique qui décide quelle langue vont parler les enfants dans 20 ans. A notre époque, le rôle des maires est plus important que celui des mères en matière de transmission.

L’immersion en langue régionale à l’école, premier pilier d’une politique linguistique

C’est le pilier numéro un d’une politique de reconstruction linguistique : l’immersion précoce à l’école. Un rapport du Conseil économique et social de l’ONU le confirme déjà en 2005 : « L’enseignement bilingue utilisant essentiellement la langue minoritaire comme vecteur produit des résultats supérieurs à toutes les autres méthodes d’enseignement, s’agissant de l’alphabétisation et de l’acquisition de connaissances en général, et favorise l’épanouissement de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de ses potentialités ».

Si la langue n’est plus maternelle, elle doit être scolaire. Les enfants y passent le cinquième (18% exactement) de leur temps éveillé, le reste du temps ils baignent dans la langue majoritaire, la langue officielle, le français. En Alsace, visons à court terme en école maternelle et primaire une école ABCM par canton (40 x 150 élèves = 6000 élèves). Cela représente environ 4% des effectifs scolaires alsaciens maternelles et primaires (176 000 élèves), et l’idée est que cela fasse tache d’huile ensuite.

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Objectif: une école abcm par canton – Photo: abcm

Parallèlement, il faut investir le secondaire avec, pour commencer, deux collèges en enseignement majoritairement bilingue, un dans le sud et un dans le nord de l’Alsace. Je recommande d’ailleurs de rénover et utiliser pour cela les locaux historiques du lycée Seijo de Kientzheim. Implanté dans l’ancien pensionnat catholique des religieuses du Sacré-Cœur, cet établissement privé haut de gamme accueillait 180 jeunes Japonais et a fonctionné de 1986 à 2005. Ce complexe de 4 hectares et 10 000 mètres carrés reste la propriété de la CEA et représente un lieu idéal pour un collège-lycée immersif modèle en centre Alsace.

Les résultats d’autres pays et régions sont sans équivoque sur l’utilité de l’enseignement immersif. L’exemple le plus fameux est bien sûr Israël et son hébreu moderne (re)créé à partir de rien au XXème siècle et parlé maintenant par 100% de sa population. Mais au Pays de Galles, on est aussi passé avec cette méthode de 20% à 40% de locuteurs, en Bretagne de 0,2% à 2% chez les enfants avec les écoles Diwan, et au Pays basque français de 5% à 20% parmi les jeunes de 16 à 24 ans entre 1991 et 2016.

Dans cette dernière région, l’INSEE a interrogé en 2016 deux mille personnes de 16 ans et plus : 41% des sondés souhaitent un enseignement en immersion complète en basque pour leurs enfants, contre 34% en 1996. Et une 7e étude sociolinguistique menée en 2021 montre que le nombre total de bascophones continue d’augmenter depuis 1991 chez les 16-24 ans.

Une signalétique bilingue à parité entre les deux langues

Deuxième pilier de notre politique linguistique : une vraie signalétique bilingue dans l’espace public. Comme détaillé sur le site Sprochpolitik, cette signalétique dans l’espace public doit respecter le principe « taille, police et style de caractères identiques » entre les deux langues, car c’est un levier idéal pour promouvoir la parité d’estime entre les deux langues et une représentation ambitieuse de la langue minoritaire. Sinon, on reste dans le folklorique avec l’image négative que cela produit inévitablement sur les générations plus jeunes. Beaucoup de régions en France et à l’étranger l’ont compris et l’appliquent.

signalétique bilingue Bruxelles
A Bruxelles, l’autre capitale européenne…
signalétique bilingue pays basque français
Pays basque français
Signalétique bilingue Toulouse
Signalétique bilingue à Toulouse

En fait, seule l’Alsace se distingue… négativement :

Quelques exemples de bricolage alsacien en termes de signalétique bilingue

Notre politique linguistique doit avoir pour objectif de généraliser la signalétique bilingue en 2030 dans tout l’espace public en respectant la norme « Taille/Police/Style de caractères identiques ». Et la signalétique sonore, dans les parkings et ascenseurs par exemple, doit aussi être bilingue : redonnons de la « part de voix » à l’alsacien.

Donnons-nous les moyens d’une politique linguistique avec un Office public de la langue alsacienne

L’Office public de la langue basque (OPLB) en France a un budget de 4,2 millions d’euros pour 320 000 habitants financés à 25 % pour l’Etat, 25 % pour le Conseil régional de la Nouvelle Aquitaine, 25 % pour le Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, 25 % pour l’Agglomération Pays Basque. L’OPLB emploie 14 « techniciens de la langue » en soutien de toutes les initiatives locales avec un objectif central : des locuteurs complets, et un cœur de cible : les jeunes générations.

En Alsace, le même effort pour une population de 2 millions d’habitants donnerait un budget de 25 millions d’euros ! Pour commencer, dotons-nous d’un Office public de la langue alsacienne à 4 millions d’euros et qui emploierait 20 techniciens de la langue régionale dont la moitié serait mis à disposition des villes pour implémenter les politiques décrites plus haut. Comme au Pays basque, visons un financement réparti avec 1 million de l’Etat, 1 million de la région, 1 million de la CEA, et 1 million des villes et com-com (communauté de communes). On pourrait très probablement obtenir 1 million d’euros de plus de la Suisse et du Land Baden-Württemberg pour soutenir des projets en alémanique, en s’appuyant sur l’exemple basque (contribution de 400 000 euros annuels du gouvernement basque espagnol).

S’agissant de la distinction entre ce futur Office public et l’OLCA (Office pour la Langue et les Cultures d’Alsace et de Moselle), les deux outils pourront être complémentaires. L’Office public sera animé par des techniciens couvrant les différents piliers et secteurs (crèches et maternelles immersives, formation intensive d’adultes, généralisation de la signalétique bilingue, enseignement en général etc). L’OLCA, qui ne s’est jamais intéressé à la politique linguistique, pourrait se concentrer sur son créneau d’animations (manifestations, concerts, etc).

Les médias aussi : radio, TV

La Bretagne dispose de 3 radios et 1 webTV (budget : 100 000 euros) émettant exclusivement en breton. Faisons pareil en Alsace avec une TV locale TNT ou Internet relayant des programmes pour enfants en alsacien et une radio émettant exclusivement en alsacien (ndlr : cela rejoint le projet actuel de Frédéric Bierry de créer une TV régionale bilingue s’adressant aux jeunes)

Thierry Kranzer, 16 avril 2022
Ancien assistant parlementaire du sénateur Henri Goetschy, Thierry Kranzer navigue entre Alsace et New York où il est attaché de presse de l’ONU depuis 2001. Il met cette expérience au service de son engagement en faveur du bilinguisme en Alsace et édite notamment le site Sprochpolitik.org

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