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Victor Vogt, l’homme à la pointe du bilinguisme alsacien

Il aborde ses nouvelles responsabilités avec passion et se sait attendu sur le sujet. Victor Vogt, conseiller d’Alsace et maire de Gundershoffen, et depuis fin 2023 président de l’OLCA (Office pour la Langue et la Culture Alsacienne), nous détaille sa vision, ses ambitions et sa feuille de route en ce printemps 2024.

Création du nouvel Office public de la langue régionale dont Victor Vogt sera président

Victor Vogt portrait

Victor Vogt : Le calendrier est assez serré pour 2024. La première délibération d’intention a été prise en décembre 2023 par le Conseil d’Alsace sous l’impulsion de Frédéric Bierry. Le nom officiel est l’Office public pour la langue régionale d’Alsace et de Moselle. Mais il faudra trouver un nom moins juridique pour communiquer, quelque chose qui parle aussi à l’esprit et au cœur des gens. La structure juridique de l’Office sera un GIP, Groupement d’Intérêt Public, avec un tour de table autour de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA).

Nous sommes en discussions avec ces partenaires : l’État, la région Grand Est, les grandes agglomérations. Mais aussi la participation du territoire mosellan sous une forme à déterminer : le département ? des agglomérations ? Dans l’ensemble, les retours sont positifs. Objectif : déterminer la gouvernance et les financements pour que ces partenaires puissent ensuite délibérer, voter leur participation et notamment la convention constitutive de l’Office public. On installerait les organes de gouvernance début de l’été. Et il faudrait qu’on ait repris l’ensemble des futurs salariés pour septembre ou octobre.

Côté Alsace, on a aussi besoin de se rassembler, de se coordonner et d’unir les forces pour être pour être plus forts, plus efficaces. Une fois que les choses seront gravées dans le marbre, je ferai une tournée dans tous les territoires pour qu’on ait aussi une approche structurée sur l’ensemble du territoire alsacien. Au-delà d’un rôle très opérationnel, de discussion, de négociation, je suis là aussi pour redonner de la force et de la vigueur.

Enfin, dès l’installation de l’ensemble des élus et des salariés de l’Office public, je me fixe pour objectif la rédaction d’une politique linguistique avec un concept opérationnel. Notre rôle est de devenir les ingénieurs du développement linguistique : développer le nombre de locuteurs, la présence de la langue, une politique linguistique et mobiliser toute la société alsacienne, qu’elle soit politique, culturelle, sociale ou économique, pour aller en ce sens. Là on entre vraiment dans une dimension d’ingénierie appliquée très forte.

Première mission: l’éducation

Victor Vogt : Il y a deux dimensions : éducation/formation et culture. D’abord l’éducation. Ce qui faisait fonctionner les classes bilingues et immersives jusqu’au milieu des années 2000, c’est qu’une partie des enfants dans ces écoles était dialectophone. Et donc il n’y avait pas trop de déperdition entre les niveaux, entre le primaire et le secondaire. Ma génération en Alsace (ndlr – Victor Vogt est trentenaire) est dialectophone à 20%. Mais on peut dire que 40% des gamins de ma génération rentrant à l’école parlaient alsacien. La déperdition était de moitié.

 Avec maintenant 3% des jeunes qui sont locuteurs natifs, on ne peut plus faire comme il y a une génération ou deux. Il faut travailler à la base pour « réamorcer la pompe ». Quelqu’un qui est monolingue et qui a intégré tardivement le système bilingue a du mal à suivre le cursus jusqu’au bout C’est difficile pour un enfant qui rentre en moyenne section ou grande section ou au CP en bilingue de rattraper les années de 0 à 3 ans ou 5 ans s’il n’a pas bénéficié d’enseignement en crèche ou en maternelle. Considérons les parents aussi : leur capacité à se raccrocher à la langue, comme ça existe ailleurs en Europe, est bien meilleure quand leurs enfants l’apprennent jeunes à l’école.

Sociologiquement, la situation a beaucoup changé en une-deux générations. Aujourd’hui, avec 2 parents qui travaillent, c’est les services de petite enfance, crèche et maternelle, qui prennent en charge les enfants. Les grands-parents, qui s’occupaient souvent des enfants, n’habitent plus le même village ou juste le village à côté. La distance domicile-travail est à peu près de 50 minutes aujourd’hui.

Tous ces changements de société font qu’aujourd’hui on ne peut plus compter uniquement sur la transmission de notre langue régionale dans le cadre familial

Il ne faut pas se voiler la face : la transmission familiale, c’est important, mais son déclin a aussi masqué l’échec politique à imposer la langue régionale dans l’espace public, les médias et à l’école. Dans toutes les autres régions, en France, en Europe, il y a eu cette revendication. Mais nous n’avons pas, pendant longtemps, su créer le rapport de force politique pour l’obtenir.

La chance qu’on a aujourd’hui, c’est l’aspect diversité, l’aspect inclusion. C’est devenu un fait de société politique. On n’a plus cette problématique du pour ou du contre. Aujourd’hui, dans l’immense majorité des cas, parler l’alsacien, l’apprendre, le diffuser, parler l’allemand ou même d’autres langues, c’est perçu positivement. On a une forte demande des gens, donc on est en en capacité de développer D’autant plus qu’un tiers des gens sur le marché du travail parle l’alsacien : c’est un vivier de gens qu’on peut réorienter vers la transmission de la langue.

Je pense qu’il faut attaquer tout de suite la jeune génération, et très fortement, et cela va aussi réintéresser les parents, cette génération intermédiaire entre les générations qui parlent encore et les plus jeunes.

Si on ouvre 10 crèches par an pendant 15 ans en Alsace, dans 15 ans on est capable d’avoir plus du tiers des enfants dans des crèches en alsacien

Pour les écoles, notre premier enjeu est d’être un partenaire des écoles bilingues et immersives, le réseau ABCM, qui a de très bons résultats, comme d’autres. Le développement de cette offre n’est pas facile. Les maires ont toujours des enjeux de nombre de classes, de personnel et d’offres scolaires de qualité pour leur commune, donc créer eux-mêmes la concurrence à l’Éducation Nationale sur leur commune, c’est un pari difficile, audacieux.

Mais il n’y a pas que les objectifs chiffrés, il faut aussi faire les choses de manière qualitative dès le début. On a 3h d’allemand à l’école depuis longtemps.  20 à 25% des enfants du système scolaire ont été touchés de près ou de loin par l’alsacien, l’allemand, la LCR à l’école publique. Combien sont devenus locuteurs ? Très peu.

L’immersion linguistique, c’est normalement 100% en langue régionale. En Alsace, c’est 75% dans le public. L’État a encore un problème avec l’alsacien, mais au moins on progresse, on est passé de 50% à 75% sur les petites années. On va voir ce que ça va donner en termes de locuteurs actifs. Parce que c’est ça la vraie mesure de l’efficacité d’une politique.

Mais cela ne veut pas dire que ce locuteur devient acteur. Qu’il sera locuteur courant. Et là interviennent aussi la culture et l’exposition de la langue dans l’espace public pour rétablir la dignité, le statut de la langue régionale.

La culture aussi

Victor Vogt: La culture est l’autre axe important. L’alsacien, c’est la langue de tout le monde, et derrière, il y a un continuum culturel qui y est lié : le théâtre, les carnavals, la poésie, la musique, les chansons, la peinture, l’architecture, etc. C’est le patrimoine alsacien, comme on dit souvent.

Il faut se battre pour que cette culture soit vivante. Le rôle de l’OLCA et du futur Office public est d’être en soutien, mais toutes les institutions culturelles d’Alsace, publiques ou privées, ont la responsabilité historique de valoriser la culture alsacienne. Et même de surcompenser vu la situation culturelle en Alsace. On ne peut pas dire à des gens qui ont une culture multiséculaire : vous n’avez pas le droit de cité. Parce qu’on considère que vous êtes déclassé ou rétrograde ?

Dans la nouvelle politique culturelle de la CeA, il faudra réserver une place importante à la culture alsacienne, que ce soit en langue alsacienne ou pas.

Avec quels moyens?

Victor Vogt: D’abord dans les écoles, crèches, etc. il faut des formateurs. Et donc pouvoir certifier leur niveau linguistique avec le DCL (ndlr- Diplôme de Compétence en Langues, qui existe déjà pour le breton et l’occitan en plus de toutes les langues étrangères). Il nous faut cette certification linguistique pour l’alsacien. On doit pouvoir dire à nos crèches, à nos périscolaires, mais aussi à nos entreprises, à nos Ehpad,: cette personne  est compétente en alsacien, en allemand.

Si on veut apprendre l’alsacien par exemple en cours du soir, on sait qu’il faut 60 heures de cours par an sur 3 ans pour atteindre un niveau correct (B2 au sens du DCL). On peut aussi le faire sur un temps très réduit, sur des stages intensifs, sur des semaines d’immersion d’une semaine pour encore réduire. Mais à la fin, ce qui fait l’apprentissage, c’est le temps d’exposition à la langue.

Si on parle des moyens de l’Office public lui-même, pour accompagner les politiques linguistiques locales mises en place par une commune ou un établissement public de coopération intercommunale, il nous faudrait déjà 4 développeurs linguistiques pour couvrir l’Alsace. Plus 4 personnes qui savent faire de l’ingénierie publique et de la traduction en accompagnement. Donc, 8 personnes rien que pour cela. Actuellement, nous avons une personne à l’OLCA, et une personne à la CEA.

Pour l’Office dans son ensemble, en termes de budget et de structure, on va passer d’un budget de presque 800 000 € et d’un effectif théorique de 10 personnes à l’OLCA actuellement à un budget de 2 millions d’euros et un effectif de 19 personnes.

A terme, il nous faudra être environ 30, avec à peu près à 3 millions € de budget, pour répondre à la demande qui est énorme chez nous.

Alsace.news : Cela reste modeste si on se compare par exemple aux budgets de communication de la région Grand Est… Ne faudrait-il pas viser plus haut, se fixer à terme pas trop éloigné un objectif de 1% de notre budget (soit 20 millions d’euros)  la culture alsacienne ?

Victor Vogt: Si on rajoute ce qui est pris en compte directement par la CeA, on ne doit pas être loin de 0,5% actuellement. Donc oui, on peut viser d’augmenter.  D’autres comme le Pays basque font déjà plus.

Les motifs d’espoir

Victor Vogt: 80% de la demande qu’on a est portée par des interlocuteurs qui ont moins de 40 ans : jeune chef d’entreprise, jeunes élus, jeunes présidents d’association jeunes parents. Avec beaucoup de motivation, beaucoup d’esprit positif. L’avenir sera toujours dans les politiques qu’on mène vers la jeunesse. C’est vrai dans tous les domaines, mais particulièrement dans notre domaine, il faut viser la jeunesse.

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