Université d'hiver 2025 Unser Land

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Comment préserver les maisons alsaciennes ?

Six millions de touristes visitent l’Alsace chaque année, notamment pour découvrir son patrimoine architectural. Pourtant, on démolit toujours 300 maisons alsaciennes chaque année. Pourquoi ? Et comment y remédier ?

L’université d’hiver du parti Unser Land au FEC à Strasbourg ce 18 janvier 2025, sous le titre un brin provocateur « L’Alsace, un nouveau Disneyland ? » a été l’occasion de riches échanges sur l’aménagement de notre territoire alsacien. Et bien sûr nos maisons alsaciennes y ont été en vedette.

Jean-Marc Biry président de l'ASMA à l'université d'hiver d'Unser Land
Jean-Marc Biry, Président de l’Association pour la Sauvegarde de la Maison Alsacienne, intervient à l’université d’hiver 2025 d’Unser Land

La maison alsacienne, une vedette récente

Jean-Marc Biry, architecte et président de l’ASMA (Association pour la Sauvegarde de la Maison Alsacienne), a rappelé que l’intérêt pour la maison alsacienne n’est pas si vieux : on peut le dater de années 1960-70. Auparavant, on rasait sans scrupule au nom de la modernité et de la nécessité de construire en masse des logements modernes. A partir de la loi Malraux de 1962 visant à préserver les bâtiments à caractère historique et de la création en 1964 d’un service public de l’inventaire pour les recenser, la politique du logement a évolué pour inclure aussi la réhabilitation de l’ancien.

Les différents types de maison alsacienne

On distingue sommairement 6 différents types de maison alsacienne suivant le territoire. Dans le Sundgau, la maison et ses annexes sont disposées en longueur sous un même toit. Celles du vignoble sont monobloc aussi, souvent sur une cave construite en pierres. Dans le Ried, territoire plus pauvre, on trouve de petites maisons de pêcheurs, pas plus de 80m2 au sol, éventuellement avec un toit surélevé pour gagner de l’espace sous les combles. La ferme en U s’impose au Kochersberg, la maison alsacienne et son annexe ayant pignon sur rue, la grange au fond fermant le U avec souvent un bout de terrain derrière elle. Outre-Forêt, les maisons montrent beaucoup de colombage, en bois de chêne, et les grandes poutres horizontales (les « sablières ») sont protégées des intempéries par des auvents (sage précaution, comme on le verra un peu plus  loin – ndlr). Et en Alsace Bossue/ im krumme Elsàss, on retrouve une maison en prolongement de l’annexe, mais aussi en retrait d’une dizaine de mètres par rapport à la rue, l’espace de l’usoir.

Les maisons alsaciennes les plus anciennes (années 1500) sont bâties « en bois long », cad avec des poutres verticales d’un seul morceau du sol au faîte. Elles sont devenues très rares, la Guerre de 30 ans (1618-1648) ayant ravagé de nombreux villages ; les survivantes se trouvent surtout dans le Sundgau. Entre les poutres, on remplit avec du torchis: de l’argile mélangée à de la paille sur des supports verticaux ou horizontaux.

hachures apparentes sur poutres de maison à colombage place de la cathédrale à Strasbourg

Le colombage apparent n’a pas toujours été à la mode : pour le protéger, on a souvent crépi les maisons alsaciennes. Et pour mieux faire adhérer le crépi sur le pan de bois, on le hachure, on en travaille la surface pour augmenter l’adhérence du crépi. Ces hachures sont visibles quand la maison alsacienne a été rénovée et ses poutres mises en évidence. Plus récemment, des treillis en fil de fer ou céramique servent de support au revêtement.

 Les défis d’entretenir et rénover une maison alsacienne

Le principal ennemi de la maison alsacienne traditionnelle est l’humidité qui pourrit le bois. Et par malchance, rénovations hâtives et nouvelles normes se conjuguent pour en augmenter les effets négatifs.

Car la mode a changé : on préfère les poutres apparentes et des couleurs plus vives sur le reste des murs. Mais une poutre mise à nu et sans auvent se dégrade sous les intempéries. De plus, si on a ravalé la façade, le crépi de couleur est souvent en saillie par rapport à la poutraison et cela augmente le ruissellement sur cette dernière. Au total, il faut entretenir et renouveler régulièrement (tous les 4-5 ans) couche protectrice (huile de lin par exemple) sur la poutre sinon elle se dégradera jusqu’à pourrir.

Strasbourg rue Mercière maison d'angle
Même dans les quartiers touristiques de Strasbourg, l’entretien des maisons à colombage peut laisser à désirer…

Autre point d’attention :  les caves, à garder ventilées pour évacuer l’humidité, ce que ne font pas les fenêtres modernes qui ferment maintenant les soupiraux.

Autre obstacle, et de taille : les règlementations thermiques et environnementales, notamment la loi Grenelle (2010) qui a rendu obligatoire le DPE (Diagnostic de Performance Énergétique) avant toute cession de maison, ainsi que la loi Climat et Résilience (2021) avec un calendrier d’interdiction de location des « passoires énergétiques ». La solution adoptée par beaucoup, l’isolation par l’extérieur, non seulement défigure les maisons alsaciennes mais peut aussi leur être fatale : si la vapeur d’eau ne peut plus s’évacuer à travers les murs à cause d’un revêtement imperméable, la dégradation est vite irréversible.

Tout cela explique pourquoi des propriétaires, souvent absents et peu motivés, des successions en indivision par exemple, ou des municipalités préfèrent démolir le bâti ancien et récupérer le terrain que de « s’embêter » à préserver. Exemple : la lutte vaine en 2021 de l’ASMA, malgré l’intervention de Stéphane Bern lui-même, contre le maire de Hochfelden qui a démoli une maison alsacienne … pour construire un parking à la place! Même l’Eurométropole, a souligné un auditeur, détruit à Neudorf des maisons alsaciennes des 18e-19e siècles pour « densifier l’habitat ». Jean-Marc Biry estime à environ 300 le nombre de maisons alsaciennes ou dépendances (granges, annexes) démolies chaque année. Et souligne le rôle de conseil de l’ASMA pour ceux qui préfèrent préserver et sauvegarder que détruire.

Préserver notre patrimoine bâti

Eric Sander, Secrétaire général de l’Institut du Droit Local, à l’université d’hiver 2025 d’Unser Land au FEC. En auditeur attentif, de dos, Jean-Georges Trouillet, Président d’Unser Land.

Éric Sander, Secrétaire général de l’Institut du Droit Local, a quant à lui détaillé des outils juridiques pour mettre le patrimoine bâti à l’abri des convoitises. D’abord le Règlement Municipal des Constructions (RMC), grâce à une loi de 1910 préservée dans notre droit local et qui donne compétence au maire pour règlementer la sécurité, l’hygiène, l’esthétique et l’aspect extérieur des bâtis. Ce RMC a l’avantage d’être plus souple et plus rapide à mettre en place qu’un PLU (Plan Local d’Urbanisme), lequel donne souvent lieu à de longues contestations.

Une loi de 1880 permet aussi des associations coopératives, outil bienvenu pour ceux s’associant pour acquérir et renouveler une maison alsacienne.

Claude Eichwald, membre du bureau de l’ASMA et maire de Weiterswiller, souligne que les PLU deviennent souvent des PLUi (i=intercommunal) du ressort des communautés de communes. Celles-ci peuvent y inclure facultativement un volet « patrimoine », dont l’obligation de mise en place peut elle aussi être facultative pour les communes membres. La « ComCom » de Haguenau par exemple a mis en place un volet patrimoine dans son PLUi, mais laisse les communes membres libres de l’appliquer ou non.

 D’où l’importance de sensibiliser les communes à adopter ce volet et même de pousser les « ComCom » à le rendre obligatoire.

Benoît Kuhn, 20 janvier 2025 – photos: DR Alsace.News

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