Contrairement à des régions comme la Corse ou l’Occitanie, les relations ne sont pas cordiales en Alsace entre les écologistes d’EELV et les Régionalistes.
La déclaration récente (31 janvier 2022) du candidat EELV à la magistrature suprême, Yannick Jadot, aux termes de laquelle le député européen appelle à reconnaître à la Corse une << autonomie de plein droit et de plein exercice >> a réjoui les uns autant qu’elle a fait craindre à d’autres, plus jacobins, une étape de plus dans l’atomisation d’une France qui devrait encore et toujours consolider son unité par l’uniformité.
Au-delà de cette promesse faite à la Corse, cette prise de position relance le débat sur l’ambiguïté des Verts français sur la question du régionalisme.
L’écologie est plurielle
Si le parti EELV, qui est aujourd’hui identifié en France comme le parti écologiste par excellence, a préempté avec un succès certain cette << inquiétude fondamentale >> du 21 ème siècle , il ne faudrait pas en conclure hâtivement que l’écologie serait nécessairement progressiste, courant dont se réclame EELV.
Comme le démontre le philosophe Luc Ferry dans son dernier ouvrage Les sept écologies, l’écologie se conjugue au pluriel, il existe plusieurs familles écologistes. Et d’autres écologies que celle d’EELV sont possibles comme l’argumente le récent livre de la philosophe Bérénice Levet intitulé L’écologie ou l’ivresse de la table rase.
Aussi, convient-il de garder à l’esprit qu’EELV n’incarne qu’une forme spécifique d’écologie et qu’une autre écologie demeure possible dans le champ politique.
Cette autre écologie se réclamerait d’un conservatisme qui fait sienne la conviction que la préservation de l’environnement implique la conscience de la fragilité des choses terrestres et s’accommoderait mal d’une doxa progressiste enjoignant chacun de procéder à la tabula rasa.
C’est dans cette perspective qu’il convient, à mon sens, de placer la question de l’ambiguïté des écologistes EELV au sujet de la question régionaliste.
La relation ambigüe des écologistes EELV avec les régionalistes
Depuis plus de 30 ans, des liens privilégiés, quoique inconstants, unissent les Verts aux autonomistes corses.
Cette proximité, si l’on s’en tient aux considérations idéologiques, est motivée par la foi des Verts dans la décentralisation et un fédéralisme interne à la France. Contrairement aux autres grands partis nationaux , les Verts paraissent relativement unis et constants sur cette question. Il n’est dès lors pas surprenant que les autonomistes corses nouent régulièrement des accords électoraux avec les Verts, notamment par le truchement de la fédération de partis régionalistes Régions et peuples solidaires.
Mais il ne faut pas mésestimer les freins que certains caciques d’EELV mettent dans la volonté affichée par ce parti de promouvoir un fédéralisme décentralisateur.
Cette réserve des Verts à soutenir aussi franchement la cause du régionalisme dans les autres régions qui composent la France peut s’expliquer en plaçant la focale sur la situation prévalant en Alsace, région où les liens entre le mouvement régionaliste ou autonomiste et EELV sont singulièrement distendus. En témoigne la réaction officielle d’EELV Alsace face à la Consultation citoyenne lancée par la Collectivité européenne d’Alsace, préconisant de repousser la question… à 2030!
Les années 70 virent pourtant les régionalistes alsaciens assoiffés de réhabiliter leur culture alémanique mêler leurs voix aux écologistes sincères que furent les pionniers s’opposant à nombre de projets menaçant l’environnement rhénan. Force est aujourd’hui de constater que les deux courants ne partagent plus les mêmes vues (ndlr : sauf en ce qui concerne le mouvement « Alternative Alsacienne -‘s Lìnke Elsàss » emmené par Jonathan Herry et Wassila Rahmani).
Imagine-t-on Yannick Jadot déclarer en Alsace que les Alsaciens doivent être fiers de leur identité , comme il l’a récemment fait en Corse ? Se déclarer fier d’une telle culture susciterait à n’en pas douter les cris d’orfraie de ceux qui associent volontiers les racines à l’exclusion. L’identité alsacienne est considérée ici avec suspicion par les hiérarques d’EELV pour qui la fidélité à des racines doit aussitôt s’accompagner de repentance.
Ce malentendu, ce contresens sur la notion d’identité s’inscrit dans la philosophie déconstructionniste qui constitue le substrat idéologique des Verts. Et cela rend impossible toute analyse sereine de la possibilité d’un courant écologiste qui serait à la fois véritablement défenseur de l’environnement et promoteur de l’identité alsacienne. Cette hostilité de principe aux ancrages qui concourent à l’épanouissement de l’Homme procède d’une conception du monde qui porte une vision messianique appelant à générer un homme nouveau.
Ce que les écologistes considèrent comme naturel dans d’autres régions comme en Occitanie ou en Corse où EELV est associé aux régionalistes de gauche, ils répugnent à le faire en Alsace. Ils considèrent ici que l’exaltation de l’identité régionale entre Vosges et Rhin ne cadre pas fondamentalement avec le dogme visant à dénier aux appartenances traditionnelles toute légitimité.
Pour paraphraser Pascal, nous pourrions résumer ainsi la pensée des écologistes d’EELV à l’endroit des régionalistes : vérité au-delà des Vosges, erreur en-deçà.
En réalité, écologie politique et régionalisme pourraient fort bien se marier en Alsace comme ailleurs. C’est de cette conscience de la nécessité d’une préservation des cadres culturels et naturels qui forment le socle d’une vie authentiquement humaine que pourrait naître un courant puisant aux sources de l’écologisme et du régionalisme, de manière réaliste et non dogmatique.
Jean Faivre, 14 février 2022
Ancien assistant parlementaire, chargé de cours en droit public, membre du comité de direction de l’association Culture et bilinguisme d’Alsace et de Moselle et de l’association Heimetsproch un Tradition