Le Club Perspectives Alsaciennes (CPA) est allé au bout de l’exercice : formuler un projet complet, sous forme de proposition de loi pour une Collectivité d’Alsace, pour fixer les contours de l’Alsace de demain hors du Grand Est.
La date du 10 octobre 2024 choisie pour la présentation du projet n’a pas été choisie au hasard : elle correspond, à un jour près, au dixième anniversaire de la grande manifestation le 11 octobre 2014 à Strasbourg contre la création des méga-régions. Depuis, nombre d’élus alsaciens présents ce jour-là au milieu des drapeaux Rot un Wiss ont retourné leur veste, la présidente de l’Eurométropole Pia Imbs n’en étant que le dernier exemple.
Dix ans après, pourquoi persister et même rédiger une proposition de loi détaillée de 60 pages alors que la conjoncture politique est tout sauf favorable ? Jean-Philippe Atzenhoffer, coordinateur avec Jacques Schleef des travaux menés par le CPA, répond que la crise actuelle de l’Etat, avec son déficit structurel, souligne la nécessité d’une meilleure gestion publique. Il faut décentraliser, mais avec des collectivités territoriales qui font sens pour les citoyens et aient des compétences élargies. D’où ce projet de « Collectivité territoriale d’Alsace » qui regrouperait l’actuelle Collectivité européenne d’Alsace (CeA), les compétences retrouvées de la région et des compétences supplémentaires déléguées par l’Etat.
Un scrutin mixte pour élire les Conseillers d’Alsace et un Président exécutif pour gouverner
Le CPA considère que la gouvernance actuelle de la CeA, celle d’un département, n’est pas appropriée à une collectivité aux compétences élargies et qui doit gérer un budget plus de deux fois supérieur à l’actuel budget de la CeA. Il faut séparer les fonctions exécutive et délibérative, comme dans les Länder allemands, avec un Président exécutif distinct du Président de l’Assemblée d’Alsace, mais élu par cette même Assemblée et responsable devant elle. Ce Président exécutif forme un mini-gouvernement dénommé Conseil exécutif. Le Président exécutif et son Conseil gèrent la Collectivité d’Alsace et mettent en œuvre les délibérations de l’Assemblée d’Alsace dans le cadre du budget voté annuellement par l’Assemblée. On a affaire ici à une gouvernance de type parlementaire, où le gouvernement est nommé par et est responsable de ses actes devant un Parlement élu. Le contraire de l’Etat central français actuel avec son Président « jupitérien » à qui n’échappe aucune décision et qui ne rend de comptes à personne.
Le mode de scrutin est également à revoir par rapport à celui des présents Conseil d’Alsace et Conseil régional Le CPA prône l’instauration pour la future Assemblée d’Alsace d’un scrutin mixte qui combine l’élection de 40 Conseillers d’Alsace (un par canton) au scrutin à deux tours comme actuellement et l’élection de 41 autres Conseillers à la proportionnelle à deux tours. Ce mode de scrutin, lui-aussi inspiré du modèle allemand, combine le respect de la diversité territoriale – les cantons – et la représentation des courants politiques via le scrutin de liste à la proportionnelle. Seul souci : l’abandon du binôme homme-femme par canton ne garantit plus l’égalité parfaite entre hommes et femmes dans l’Assemblée. Il faudra s’en remettre pour cela à la sagesse du monde politique alsacien…
Autre nouvelle disposition d’importance :la Collectivité d’Alsace pourra tenir des référendums locaux. On pourra même tenir des référendums d’initiative populaire, à la demande du tiers des Conseillers d’Alsace ou du dixième des électeurs d’Alsace. Cela fait quand même du monde à mobiliser.. Pour compléter le dispositif, l’Assemblée d’Alsace et le Conseil exécutif s’appuieront sur trois instances consultatives : le Comité économique, social et environnemental (CESE, nouvelle mouture du CESER actuel), le Comité pour le Patrimoine, les Langues et la Culture (CPLC), et enfin le Conseil des Pays d’Alsace pour représenter les collectivités locales. Ils ne dépasseront pas 41 membres.
Des compétences supplémentaires pour l’Alsace
Economie, transports, aménagement du territoire, enseignement, sport, culture, services sociaux : l’Alsace a besoin de plus de marges de manœuvre dans tous ces domaines. Objectif : mieux répondre aux aspirations de la population avec plus de transparence, plus d’efficacité, plus de responsabilité dans la prise de décision. L’Etat lui transfèrerait de nouvelles missions dans ces domaines, avec les ressources financières correspondantes.
Une de ces compétences supplémentaires concerne l’Education nationale : la Collectivité d’Alsace pourra adapter les programmes de l’Education nationale pour leur faire prendre en compte la langue, l’histoire et la culture régionales, après concertation puis signature d’une convention avec l’Etat. Ces matières intègreront les programmes scolaires eux-mêmes au lieu d’être reléguées dans une option « LCR » plus ou moins mise en place suivant le bon vouloir des recteurs successifs et des syndicats parisiens.
Côté économie, transports et environnement, la Collectivité d’Alsace établira un Plan d’aménagement et de développement durable qui fixera les objectifs et orientations en matière de développement et d’environnement. Ce Plan balayera tous les grands sujets : transports, environnement, zéro artificialisation nette (le prochain sujet qui va fâcher tout le monde – ndlr). Les plans des territoires et communes (PLUs) devront en tenir compte.
Comment faire vivre ce projet ?
On le voit, le CPA a réalisé ici un gros travail, et cette proposition de loi ne néglige aucun aspect stratégique pour arriver à une Collectivité d’Alsace de plein exercice, cad un outil institutionnel qui permette aux Alsaciens de gérer leurs propres affaires eux-mêmes.
Et ensuite ? Le CPA va saisir aussi bien la CeA que les parlementaires alsaciens pour qu’ils s’approprient le projet. Il compte aussi sur Patrick Hetzel, ministre et Alsacien convaincu, pour le pousser à Paris.
Pas évident dans l’immédiat. On aimerait se tromper, mais au vu des discussions budgétaires serrées qui mobilisent tous les acteurs en France en cette fin 2024, la « question alsacienne » ne refera pas surface avant 2025. Profitons-en pour peaufiner nos arguments. Notamment redire avec Jean-Philippe Atzenhoffer et le député Olivier Becht cette semaine encore que les « coups de rabot » budgétaires ne suffiront pas, qu’il faut réformer un Etat en échec complet. Moins de couches administratives pour retrouver plus d’efficacité dans la dépense publique, laissez l’Alsace vous le démontrer !
Benoît Kuhn, octobre 2024 – Photo: DR Alsace.news