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Marcelle Cahn

On regrette souvent que l’Alsace d’entre les deux guerres ait perdu beaucoup de son dynamisme culturel. Sa position de glacis entre France et Allemagne fait que nous n’avons pas beaucoup de créations à cette époque, que ce soit dans l’architecture ou les Beaux-Arts. Certes, il y l’aménagement magistral de l’Aubette par le trio Hans Jean Arp, son épouse Sophie Taueber et Theo van Doesburg, mais ce chef d’œuvre moderniste – et très peu apprécié à l’époque par les Strasbourgeois – fait figure d’exception dans le désert culturel des années 20-30 en Alsace.

Marcelle Cahn au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg

Marcelle Cahn portrait

Saluons donc la belle rétrospective « Marcelle Cahn, en quête d’espace », au MAMCS (Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg) jusqu’au 31 juillet 2022, pour découvrir la trop peu connue Marcelle Cahn (1895 – 1981), peintre et amie des Taueber-Arp et de nombreux autres artistes de l’époque. Née à Strasbourg à l’époque du Reichsland dans une famille bourgeoise et artistique (sa mère était pianiste), Marcelle Cahn y passe sa jeunesse puis étudie à Berlin de 1915 à 1918 et ensuite à Paris où elle passera la majeure partie de sa vie.

Ses premières peintures sont marquées tour à tour par l’influence de Cézanne et par l’expressionnisme allemand. Ses dessins quant à eux restent réalistes. Une diversité de styles typique de Marcelle Cahn qui fera toujours preuve d’ouverture formelle et s’inspirera des nombreux artistes qu’elle fréquente. L’influence de Fernand Léger et Amédée Ozenfant se fait sentir en 1925-26, jusqu’à un virage en 1929 vers l’abstraction géométrique prônée par le groupe « Cercle et Carré » de Michel Seuphor et Joaquin Torres Garcia.

marcellle cahn nu berlinois
Marcelle Cahn, Nu berlinois, 1916
marcelle cahn femme et voilier
Marcelle Cahn, Femme et voilier, 1926-1927

Femme et voilier témoigne de l’influence de Fernand Léger mais surtout d’Amédée Ozenfant. L’artiste réduit les objets et les figures en formes élémentaires et simples et choisit des couleurs sourdes posées en aplats. La construction géométrique évacue toute anecdote et tout illusionnisme. Les lignes arrondies du buste féminin et les angles plus aigus du voilier et du paquebot se croisent et s’interpénètrent de manière harmonieuse et unifiée.

marcelle cahn avion forme aviatique
Marcelle Cahn, Avion-Forme aviatique, 1930

Après une longue pause pendant les années 30 et 40, Marcelle Cahn renoue avec la peinture et l’abstraction géométrique dès le début des années 50. Elle élargit aussi sa pratique avec des « tableaux-reliefs » sur bois ou contreplaqué, ainsi que des collages, et s’intéresse à la conquête spatiale dans les années 60 avec ses « Spatiaux », assemblages géométriques à base de boîtes de médicaments découpées qu’elle fait ensuite réaliser avec des morceaux de bois peint.

Marcelle Cahn, Sans titre, 1956

Pour rythmer ses peintures, Marcelle Cahn appose à la surface des tableaux des petits éléments de format géométrique et circulaire en bois, isorel ou balsa.

marcelle cahn spatial II
Marcelle Cahn, Spatial II, 1969,
collage de bois peint sur structure de bois
marcelle cahn carte postale
Marcelle Cahn, Sans titre, vers 1972-1975,
collage sur carte postale, 15 x 10 cm

Des problèmes d’yeux l’empêchant progressivement de peindre, Marcelle Cahn se retire à Neuilly en 1969 et y continue ses assemblages et collages en « recyclant » les objets de son quotidien : cartes postales, enveloppes, petits emballages, etc. qu’elle agrémente de crayonnages et de gommettes… Mais pour elle cela reste un jeu, rien à voir avec le business juteux que réalisera l’américain Richard Prince avec les mêmes pratiques dans les années 2000 ! Et elle fera don d’une partie importante de son œuvre et de ses archives au MAMCS juste avant sa disparition en 1981.

Libre et changeante, Marcelle Cahn n’en est pas pour autant une suiveuse des modes artistiques de son époque. C’est surtout un esprit curieux qui aime expérimenter, avec une bonne dose d’humour en sus. Comme en témoigne un critique d’art dans la vidéo à voir en fin de parcours de l’exposition, « Marcelle Cahn est plutôt à considérer comme dadaïste que constructiviste : elle est dans le jeu sérieux. Et elle a le don d’alléger les choses, la matière pour arriver à un appauvrissement qui est un enrichissement intérieur ». Elle-même revendique en plus le besoin de faire des choses libres et lyriques comme ses collages et montages pour compenser la rigueur que lui impose l’abstraction en peinture. Ce va-et-vient nourrit sa vision poétique qu’elle nous fait partager avec légèreté et humour.

Benoît Kuhn, 13 mai 2022 – Visuels: courtesy MAMCS

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