Littérature alémanique

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Vous avez dit littérature dialectale ?

Littérature dialectale : ces deux termes « littérature » et « dialecte » ne sont pas vraiment faits pour cohabiter. La littérature, je veux dire la grande, la « vraie », est l’affaire de grandes langues à la mesure de ses géants, des Hugo, des Goethe, des Dostoïevski… Ne parle-t-on pas de Hochdeutsch ou de Hochsprache par opposition à Dialekt ou mieux encore de Mundart ?

J’ai moi-même longtemps pensé que l’écriture dialectale était destinée à être cantonnée à la poésie et au théâtre. A la poésie, parce que sa proximité quasi physique avec les mots la destinait naturellement à l’accueillir. Au théâtre, parce que le dialecte y devient un matériau vivant sur scène.

Mais de là à parler de « littérature dialectale », il y a un pas. D’autant que rares sont ceux qui lisent couramment le dialecte. Même les comédiens qui jouent en dialecte ont souvent du mal, dans un premier temps, à lire les répliques qu’ils feront vivre sur scène. Pas étonnant dans ces conditions que les éditeurs, soucieux de l’équilibre économique de leurs publications, ne se précipitent pas pour publier de la littérature dialectale.

Une internationale de la littérature dialectale alémanique

Il existe pourtant depuis une cinquantaine d’années une institution transnationale qui accueille la littérature dialectale alémanique et ses auteurs d’Allemagne (du sud principalement) d’Autriche (le pays où elle a son siège), de Suisse. Et, parmi les 120 membres de l’association, une poignée d’auteurs alsaciens qui écrivent dans leur dialecte.

Il s’agit de l’IDI, l’Internationales Dialekt Institut. Elle a été créée dans les années 70 par un certain nombre d’écrivains de ces quatre pays (dont l’Alsacien André Weckmann), ayant pour lingua franca leurs différents dialectes alémaniques dont ils avaient choisi de faire leur langue, ou une de leurs langues d’écriture. Elle est actuellement présidée par le poète badois Markus Manfred Jung, habitant près de Lörrach, au sud du Bade Wurtemberg, une région au cœur de cette « internationale germanohelvétoaustroalsacienne ».

Markus Manfred Jung littérature dialectale alémanique
Markus Manfred Jung, poète badois, président de l’IDI, internationale de la littérature dialectale alémanique

Rencontre annuelle d’écrivains avec l’Internationales Dialekt Institut

L’IDI tient annuellement une rencontre dans l’un des quatre pays concernés au cours de laquelle les auteurs présents se penchent sur différentes questions ayant trait à la place des dialectes dans le monde contemporain, au sens de leur démarche d’écrivain, aux questions pratiques liées à l’écriture et à la publication de littérature dialectale. La dernière de ces rencontres s’est tenue à la mi-octobre à Imst, dans le Tyrol autrichien. Pendant toute la rencontre une phrase était projetée sur écran «  Ich bin ein immaterielles Kulturerbe ».

Une trentaine de membres issus des quatre pays où l’alémanique continue de se parler se sont réunis le temps d’un week end pour tenter de répondre à la question : qu’allons-nous en faire de cette Erbe, en ce XXIe siècle qui se globalise à grand vitesse ?

Les auteurs présents à cette rencontre ont tous une notoriété dans leur région ou pays d’origine, le plus souvent en tant que poètes ou auteurs de littérature jeunesse.  Mais leur notoriété n’a rien de comparable à celle de romanciers traduits dans différentes langues. C’est le lot de la poésie de manière générale, et de la poésie dialectale tout particulièrement.

Mais un travail sur la langue, matériau de base de l’écrivain, quelles que soient ses orientations littéraires, passe inévitablement par la poésie. Car la poésie rentre dans le cœur de la langue, dans sa rythmique, ses sons, ses tonalités.

C’est dans cet esprit que se constituent pendant chacune des rencontres quatre ou cinq groupes qui, à partir de propositions poétiques des uns et des autres, travaillent la langue, la rabotent, la policent, la cirent. Tels des ébénistes qui, partant du bois brut, des mots nus, finissent par présenter l’objet final qu’ils caressent des yeux et de la main.

Les dialectes dans l’espace alémanique

Mais ces rencontres annuelles donnent également lieu à des débats plus théoriques introduits généralement par des universitaires, sociologues ou linguistes, qui travaillent sur ces questions de Mundart. Et ces débats sont généralement l’occasion de faire des comparaisons entre les quatre pays concernant la place de la littérature dialectale et plus généralement du dialecte.

La Suisse reste encore et toujours le pays où le dialecte conserve une place véritable et ne semble pas menacé de disparition. Parce que le dialecte (il faudrait dire « les » dialectes) y est  langue de quotidienneté, celle dans laquelle les jeunes échangent leurs sms, celle qu’apprennent et que parlent les immigrés.

Parler Schwizerdütsch, c’est envoyer un signal fort d’identité, un marquage de frontière culturelle.

Il semble que la situation en Autriche soit quelque peu comparable : on parle des dialectes germaniques, mais on revendique une singularité nationale par rapport à la langue allemande.

En Allemagne, la situation des dialectes n’est pas bien brillante. Les parlers régionaux à travers le pays gardent certes une coloration régionale, souvenirs des dialectes qui se parlaient encore il y a quelques décennies, mais les dialectes purs, à l’instar du dialecte alémanique, se parlent très peu dans la jeunesse. Un livre d’un universitaire allemand qui traite de la question a eu un grand écho en Allemagne il y a quelques années de cela. Son titre se passe de commentaire : «  Meine Oma spricht noch platt ».

J’ai souvent constaté ces dernières années que notre dialecte bénéficie d’un véritable engouement de la part de nos voisins d’outre Rhin. Je pense que c’est sa relative « pureté » qui les séduit. L’alémanique badois s’est lentement fondu dans un hochdeutsch qui en garde juste la coloration alémanique. Et notre dialecte alsacien, lui, n’est évidemment pas soluble dans la langue nationale !

Langues mourantes ? Je ne puis en juger. Je peux simplement dire que c’est une langue dans laquelle j’adore écrire. Mais je sais aussi que me reviennent régulièrement ces paroles prononcées par Isaac Bashevis Singer (ndlr : célèbre écrivain yiddish) à Stockholm, lors de son discours de récipiendaire du Nobel de littérature : « Une langue mourante…parfait pour ceux qui ne sont ni vivants ni morts : les fantômes ! »

Pierre Kretz, décembre 2021. Photo: Pierre Kretz, DR
Ancien avocat, Pierre Kretz est un auteur reconnu de romans (dont: Quand j’étais petit, j’étais catholique,2005), de pièces de théâtre (Ich ben a beesi frau, 2015) et d’essais en défense de l’Alsace (dont: Je suis alsacien mais je me soigne, 2021)

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