Vendredi 1er mars 2024, une conférence sur la géothermie profonde en Alsace organisée par le groupe local d’Unser Land de Saverne et environs s’est tenue à la Maison St-Florent à Saverne. Le conférencier, Philippe Elsass, ancien directeur du Service géologique régional Alsace et ancien chef du projet scientifique de Soultz-sous-Forêts pour le BRGM, a répondu à de nombreuses questions de l’assistance, qui ne concernaient pas seulement le lithium et la géothermie profonde en Alsace , mais aussi les désordres provoqués par le forage de sondes thermiques à Lochwiller près de Saverne

Le potentiel de la géothermie profonde en Alsace : chaleur oui, électricité non

Le sous-sol de la plaine d’Alsace recèle des terrains contenant une eau chaude salée à des températures de 100° à moins de 200°C. Ces saumures sont des eaux de mer fossiles concentrées titrant 100 mg/L de chlorure de sodium. Cette ressource est idéale pour du chauffage urbain ou des industries utilisant beaucoup de vapeur, comme l’usine Roquette à Beinheim qui convertit l’amidon de céréales en glucose : la production de saumure à 170° captée à 2600 m alimente une centrale de 24 MW thermiques, inaugurée en 2016, qui à son tour alimente l‘usine Roquette de Beinheim par une conduite calorifugée de 15 km.

La température de ces eaux profondes est en revanche insuffisante pour l’alimentation de centrales électriques à vapeur, qui nécessitent au moins 180° à 200°C en entrée. Le site expérimental de Soultz-sous-Forêts avec ses 165°C produit bien de l’électricité, mais en passant par un cycle binaire ORC (cycle Rankine) utilisant un fluide de travail organique intermédiaire, avec un rendement très inférieur.

Plusieurs projets privés qui cherchaient à atteindre des failles du socle granitique à des profondeurs de près de 5000 m pour produire de l’électricité ont donné lieu à des échecs retentissants, en raison de séismes provoqués par la relaxation des roches du socle après les injections hydrauliques. En effet, lorsque l’on fracture des roches à grande profondeur par des injections d’eau, les coulissements des roches entre elles se manifestent par des microséismes non ressentis en surface (de magnitude inférieure à 2 sur l’échelle de Richter), mais lorsque l’on arrête l’opération, les roches se réajustent pour retrouver un équilibre (c’est la phase de relaxation) et provoquent des séismes qui peuvent être beaucoup plus importants…

Les projets récents de géothermie profonde

En 2006 un puits géothermique de 5000 m dans la banlieue de Bâle (on parle de « puits » comme dans l’industrie pétrolière) provoque un séisme de magnitude 3,4 sur l’échelle de Richter. Les milliers de plaintes pour dégâts aux bâtiments font capoter le projet.

En 2020 les travaux de développement des puits profonds de 5000 m de Fonroche à Vendenheim ont provoqué des séismes inattendus de magnitude 3,1 et 3,6 jusqu’à La Robertsau, à 4-5 km de distance du site d‘injection, et donné un coup d’arrêt aux projets de géothermie profonde pour le moment.

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Mais de nombreux projets sont actuellement relancés en Alsace, depuis Wissembourg au Nord jusqu’au Bassin potassique au Sud grâce à la possibilité d’extraire du lithium des saumures profondes comme sous-produit de la production de chaleur. Tous ces projets sont des PER (Permis Exclusif de Recherche) qui impliquent des reconnaissances sismiques préalables qui vont s’étaler sur plusieurs années… le temps aussi de mettre au point la technique d’extraction du lithium de la saumure, technique qui n’est pas encore acquise à l’échelle industrielle.

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Le cas du forage de Lochwiller

Beaucoup de questions ont été posées à propos de Lochwiller, près de Saverne. Cette commune connait des dégâts importants dus à un forage réalisé en 2008 pour l’installation de sondes thermiques. Le forage de 140 m de profondeur, a rencontré des venues d’eaux qui sont remontées dans les terrains argileux du Keuper. Ces couches contiennent des évaporites dont l’anhydrite qui, au contact de l’eau, se transforme en gypse avec une forte augmentation de volume. Il en résulte ainsi un gonflement des terrains provoquant d’importants désordres dans les bâtiments voisins (fissurations, soulèvements) allant jusqu’à les rendre irréparables.

Les mêmes phénomènes se sont produits sur différents sites dans des conditions géologiques analogues au Pays de Bade (Böblingen, Staufen) et en Alsace (Lochwiller, Kirchheim) en 2006-2008 avec la multiplication des sondes thermiques sur forages couplées à des pompes à chaleur pour le chauffage ou la climatisation. Malgré d’importants et délicats travaux de remédiation effectués pour stabiliser la situation (rebouchage des ouvrages, pompages…), celle-ci n’est pas encore totalement maîtrisée plus de 15 ans après.

A la suite de ces désordres, la règlementation a été mise à jour et les secteurs présentant ce type de conditions géologiques sont maintenant interdits à ce type d’ouvrage. Encore faudrait-il que cette règlementation ne soit pas contournée…

En conclusion

La géologie dans l’Oberrhein offre une ressource idéale pour la production de chaleur, à condition d’avoir des utilisateurs (usines, réseaux de chaleur). Par contre, la production d’électricité n’est pas rentable en France avec un cycle binaire (pour utiliser des températures d’eau inférieures à 200°C), et risquée si l’on fore à grande profondeur pour obtenir les températures nécessaires (200°C). Le lithium est quant à lui plus prometteur : ce serait un sous-produit parfait, reste à mettre au point le traitement à l’échelle industrielle.

Philippe Elsass, 8 mars 2024
Philippe Elsass est géologue de formation et a fait toute sa carrière au BRGM dont il a dirigé le service régional en Alsace