Il est urgent de faire connaître notre culture et notre bilinguisme en-dehors de l’Alsace également. Nous avons encore beaucoup d’efforts à faire à cet égard.
Certaines plaques de rues de Colmar viennent d’être barbouillées de peinture bleue, au motif que les noms y figurent dans leur version originelle, en dialecte ou en Hochdeutsch (allemand standard), ce qui, dit-on, rappellerait les heures sombres de l’Alsace.
(Espérons que la municipalité de Colmar a porté plainte et que les coupables seront jugés avec la même sévérité que ceux qui ont barbouillé la voiture du Grand Est sur le Tour de France Femmes en 2022: 6 mois avec sursis et 6 000€ d’amende! NDLR)
Les « heures sombres » de l’Alsace
La cathédrale de Strasbourg, les abbayes de Murbach, Ebersheim, Marmoutier, des heures sombres ? Dix siècles d’appartenance au Saint Empire romain germanique, des heures sombres ? Une production artistique, telle qu’exposée au musée Unterlinden, rayonnante dans toute l’Europe, des heures sombres ? L’elsässische Zuckerfabrik – aujourd’hui Sucrerie d’Erstein – fondée en 1893 par Hugo Zorn von Bulach, la Neustadt de Strasbourg, classée au patrimoine de l’humanité, le statut de quasi-Etat de l’Alsace en 1911, des heures sombres ?
Les auteurs de ces barbouillages sont visiblement dans l’ignorance de la réalité historique de l’Alsace et de la composante essentielle de son identité : sa langue germanique. Et se devraient dès lors de barbouiller les panneaux de la quasi-totalité des communes alsaciennes : une vie à peinturlurer, Breuschwickersheim, Kaysersberg, Illzach comme autant de témoignages des heures sombres de l’Alsace. Sans parler des patronymes…
Des barbouillages pour effacer notre culture
La démarche n’est pas anodine : sous une épaisse couche de peinture, il s’agit d’effacer l’héritage culturel germanique de l’Alsace que viennent pourtant admirer des millions de visiteurs venus du monde entier chaque année, été comme hiver.
Une couche de peinture que l’Etat français s’emploie, à grand renfort de « fake-news », à appliquer sur l’Histoire de l’Alsace depuis l’humiliation de la restitution du territoire à la confédération impériale allemande, au lendemain de la défaite de 1870.
Sous le vocable « roman national » se trouvent ainsi pêle-mêle l’Alsace française depuis 1648, sa prétendue « Libération » en 1918 ou encore l’appartenance au régime national-socialiste des Autonomistes alsaciens dans l’Entre-deux-guerres… Nos maires sont à ce point intoxiqués par ce roman que, chaque 11 novembre, ils rendent hommage (!) aux Feldgrauen de leurs communes en faisant lire aux enfants des lettres de… poilus.
Car le drame de l’Alsace, c’est sa culture germanique. Insupportable pour Marianne. Alors, depuis 150 ans, elle barbouille. Allègrement. Et ça marche ! En 2024, moins de 3% des enfants de moins de 10 ans maitrisent encore l’Elsasserditsch, et notre Muttersprache est devenue… la langue du voisin.
L’équation Alsacien = Allemand = nazi en vogue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale – a amené les Alsaciens à être honteux de leur langue multiséculaire. Les barbouilleurs de Colmar tentent de remettre cette équation au goût du jour, c’est totalement inepte en 2024. Car c’est bien de cela dont il s’agit : amalgamer culture (germanique), identité (allemande) et régime (nazi).
Dans ce contexte, dans ce bain de fake news, toute velléité de sortie de l’Alsace, pourtant revendiquée par 90 % des Alsaciens – est immédiatement interprétée Outre-Vosges comme des tentatives séparatistes, voire indépendantistes . Que n’entend-on de sottises à cet égard, tel un prétendu repli sur soi, alors que le bilinguisme constitue, au contraire, une richesse culturelle – et économique – remarquable.
Il est grand temps de faire de l’Alsace bilingue et biculturelle une grande cause nationale. En sortant le débat du microcosme alsaco-alsacien pour expliquer à nos compatriotes non pas qui nous devons être mais qui nous sommes ! En quelques clics, les technologies actuelles permettent d’atteindre des milliers de journalistes dans toute la France, tout disposés à s’intéresser à notre réalité historique et culturelle. Encore faut-il nous adresser à eux…
Eric Mutschler, 15 janvier 2024
Juriste de formation, Eric Mutschler a développé sa carrière autour des enjeux du développement durable. Ancien journaliste radio, il est aussi passionné d’histoire de l’Alsace.