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Ligue d’Alsace de football : la FFF s’en lave les mains… et Marc Keller aussi

Quelles leçons à tirer de la fin de non-recevoir de la Fédération Française de Football (FFF) ? Dominique Lihrmann, ancien dirigeant de feu la Ligue d’Alsace de football, fait le point sur ce sujet.

Dominique Lihrmann a démissionné en 2016 de ses fonctions de membre du Comité Directeur de la Ligue d’Alsace de football (LAFA) peu avant sa fusion forcée dans la Ligue du Grand Est de Football (LGEF). Le toujours Président-délégué du FC Ingersheim (près de Colmar) a gardé sa liberté de parole malgré les représailles :  après sa tribune dans nos colonnes fin 2022 où il interpelait le président de la LGEF Albert Gemmrich, celle-ci l’avait jugé coupable de « diffamation » début 2023 et suspendu de ses fonctions… qu’il a vite retrouvées après avoir vu sa peine réduite à sa plus simple expression. Il nous détaille aujourd’hui les enjeux en cours.

Ligue d'Alsace de football LAFA Dominque Lihrmann René Marbach Albert Gemmrich
Au bon vieux temps (2012) de la Ligue d’Alsace de Football: de gauche à droite: Dominique Lihrmann aux couleurs de son club d’alors le SR Colmar; René Marbach, alors secrétaire général de la LAFA et entretemps président du District d’Alsace (2016-2020); Albert Gemmrich, alors Président de la LAFA et depuis 2016 Président de la Ligue du Grand Est de football
Photo: Dominique Lihrmann

Ligue d’Alsace de football : un vote très intéressé… grâce à Albert Gemmrich

Avec 82 000 licenciés, l’Alsace représente 37% des licenciés de foot à l’intérieur du Grand Est, et attire également beaucoup de sponsors. Une manne à laquelle beaucoup de clubs champenois et lorrains ne veulent pas renoncer. Surtout qu’Albert Gemmrich, en amont du scrutin du 30 mars 2024, a fait circuler des chiffres alarmistes établis par un expert-comptable « indépendant » qui n’avait pas participé aux groupes de travail réunissant Ligue du Grand Est et District d’Alsace de Football (voir ci-dessous). Cet expert-comptable avance néanmoins un déficit de 200 000€ si l’Alsace se retire de la LGEF, déficit à combler par une hausse des cotisations.

En attendant, la paupérisation du foot alsacien est une réalité. La Ligue d’Alsace de football d’avant 2016 avait un budget de 4 millions d’euros et comptait 34 salariés ; le district d’Alsace actuel ne dispose plus que de 1,65 millions d’euros et de 15 salariés : moins de la moitié ! Et ce n’est pas fini : le Comité Directeur de la LGEF a voté fin avril 2024 une nouvelle augmentation de 5% des frais répercutés aux clubs pour équilibrer des frais de fonctionnement dispendieux.

Un vote nuisible à tous sur le plan sportif

Les arguments officiels des dossiers de faisabilité de deux ligues voisines issus des réunions de travail communes n’ont pas été envoyé aux clubs. Pourtant, sportivement, les Lorrains et les Champardennais auraient intérêt à cautionner la sortie de l’Alsace. Il y a actuellement 3 groupes de championnat Régional 1 (R1), avec 14 clubs chacun, mais depuis cette saison une seule accession au niveau supérieur National 3 (N3). De plus, un projet fédéral de réforme de compétition ne prévoit plus que 2 groupes R1 en LGEF d’ici 3 saisons, entraînant la suppression d’un groupe de 14 sur les 2 saisons prochaines et donc 14 descentes supplémentaires (diluées sur 2 années) de R1 en R2 (avec effet boule de neige en-dessous).

Les groupes de travail ont proposé la solution suivante : en cas de « scission », la Ligue d’Alsace de football reforme son groupe de Régional 1 avec ses clubs alsaciens (ils sont actuellement 17 répartis dans les 3 groupes LGEF existants). Ainsi, la future Ligue de Champagne-Ardennes-Lorraine garderait 2 groupes de Régional 1 de 14 clubs et (c’est une demande des groupes à la FFF qui n’a pas dit non) à nouveau 2 montées. Et elle n’aurait aucune descente supplémentaire, au contraire : elle pourrait promouvoir 3 accessions de R2 en R1 supplémentaires pour compenser le départ de 17 alsaciens)

La Ligue d’Alsace de football retrouverait son championnat Régional 1 spécifique, avec 1 montée en National 3 elle aussi. Donc on aurait sur le périmètre Grand Est 2+1 montées = 3 contre 1 actuellement.  Au minimum, si la FFF maintient une seule montée en N3 pour la LGEF, on serait à deux montées (1 LGEF et 1 LAFA) contre une seule actuellement. Ce projet du groupe de travail-compétitions, crucial pour l’avenir sportif de tous et qui devait servir de base aux discussions de sortie, n’aura jamais été envoyé aux clubs… qui vont très rapidement déchanter. Un gâchis !

logo Ligue du Grand Est de football

FFF : une décision en violation de la loi et des statuts ?

D’après les statuts de la FFF, l’Assemblée Fédérale est souveraine quant aux Ligues régionales et Districts : elle « décide de leur constitution et de leur suppression et détermine leurs limites géographiques ». En imposant l’accord de tous les clubs du Grand Est et en tirant argument de leur vote négatif (cf encadré en fin d’article pour un récapitulatif des évènements) le 30 mars 2024 pour enterrer le dossier le 18 avril 2024, le Comité Exécutif de la FFF a surinterprété le vote uniquement consultatif de la LGEF, privant de ce débat l’Assemblée Fédérale prévue le 18 juin 2024.

Au passage, ce Comité Exécutif piétine aussi, dans l’esprit sinon la lettre, la loi de 2019 établissant la Collectivité européenne d’Alsace. L’article 5 de cette loi prévoit que « les fédérations culturelles et sportives agréées peuvent créer des organes infrarégionaux à l’échelle de la Collectivité européenne d’Alsace. ». Accorder un droit de veto aux clubs d’autres régions revient à nier cette possibilité.

Notons enfin qu’une sécession de l’Alsace de la FFF semble impraticable : sans subventions nationales, cela renchérirait trop le coût de la licence pour les pratiquants alsaciens.

Marc Keller, le nouvel Albert Gemmrich

Cette histoire ne vous rappelle pas des souvenirs ? Faire disparaître l’Alsace, ça se fait d’un coup de crayon sur le coin d’une table un dimanche soir. La faire revenir est par contre soumis à un parcours du combattant : Paris multiplie les obstacles en espérant évidemment que les Alsaciens trébucheront au passage. Ce qui ne manque jamais, grâce à certains de nos dirigeants régionaux qui font passer leur carrière personnelle avant les intérêts de leurs mandataires. C’était déjà le cas en 2013 avec le maire de Colmar Gilbert Meyer. En 2015-2016, Philippe Richert, Jean Rottner et, côté football, Albert Gemmrich ont suivi et laissé tomber l’Alsace pour assurer leur carrière personnelle.

Le cas s’est répété pour le football ce mois-ci. Marc Keller, président du Racing et membre bien en cour du Comité Exécutif de la FFF, a voté le 18 avril dernier pour enterrer la Ligue d’Alsace de football. En accord bien sûr avec Albert Gemmrich, lui-même obligé de s’abstenir lors de ce vote. Marc Keller « oublie » au passage que les 82 000 Alsaciens licenciés de foot sont les plus ardents supporters du Racing…

Marc Keller a par contre su avancer les intérêts des actionnaires du Racing (dont lui-même) en vendant le club avec une grosse plus-value au consortium BlueCo l’année dernière. La suite de sa carrière se joue maintenant à l’échelle nationale, il serait dommage de gâcher tout cela en s’aliénant les collègues du Grand Est…

Les grandes étapes du combat pour le retour d’une Ligue d’Alsace de football

Août 2019 : la loi créant la Collectivité européenne d’Alsace est promulguée. Son article 5 dit que « les fédérations culturelles et sportives agréées peuvent créer des organes infrarégionaux à l’échelle de la Collectivité européenne d’Alsace. »
Novembre 2021 : les clubs alsaciens votent à 93% la sortie de la Ligue du Grand Est pour recréer une Ligue d’Alsace de football
Mars 2023 : le Comité Directeur de la LGEF vote « ne pas être défavorable à la sortie du District d’Alsace de la LGEF » (13 voix pour dont Albert Gemmrich ; 3 voix contre)
Juin 2023 : communiqué du Ministère des sports : « le président de la FFF, Philippe Diallo, s’est engagé à ce que les instances fédérales compétentes – Assemblées Générales du District d’Alsace et de la Ligue du Grand Est, puis Assemblée Fédérale de la FFF – se prononcent démocratiquement, d’ici l’été 2024, sur ce projet de ligue de football à l’échelle de l’Alsace ». Mais il est mis comme conditions préalables l’accord des clubs alsaciens ET l’accord des clubs du Grand Est. Le piège est tendu.
Octobre 2023 : les clubs alsaciens confirment le vote pour la Ligue d’Alsace de football à 96%
30 mars 2024 : les clubs du Grand Est votent à 61% contre la scission ; tous les clubs alsaciens votent pour.
18 avril 2024 : le Comité Exécutif de la FFF décide d’enterrer le dossier sans attendre l’Assemblée Fédérale prévue le 18 juin 2024

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