Très intéressante exposition sur la Renaissance à Strasbourg et deux de ses principaux artistes méconnus de nos jours : Tobias Stimmer et Wendel Dietterlin.
Ces noms ne vous disent rien ? Nous non plus avant d’avoir visité l’exposition « Strasbourg 1560-1600 le renouveau des arts » au Musée de l’œuvre Notre-Dame à Strasbourg (du 2 février au 19 mai 2924). Leur mémoire est quasi-absente de Strasbourg, même s’ils ont chacun droit à une (petite) rue respectivement à Illkirch et la Meinau. Voilà l’occasion de découvrir quelques-uns de leurs chefs d’œuvre.
La Renaissance à Strasbourg 1560-1600
Les chefs d’œuvre du Moyen-Âge (15ème siècle inclus) sont souvent liés aux commandes des institutions religieuses, comme le célébrissime retable d’Issenheim à admirer au musée d’Unterlinden. L’anticléricale guerre des Paysans (1525) et l’avènement de la Réforme en Alsace, plus particulièrement à Strasbourg, en première moitié de 16ème siècle, tue cette source de commandes. Les Réformés préfèrent des décorations minimalistes dans les églises et abhorrent les saints et leur folklore.
Heureusement, les commandes civiles prennent le relais dans la seconde moitié du siècle, marquée par une grande prospérité économique. On bâtit à Strasbourg dans le style nouveau : la Grande boucherie (1587 – maintenant musée historique), l’Ancienne Douane (1583 – Koïfhüs), le Neubau place Gutenberg (1585 – d’abord Hôtel de ville puis jusqu’à récemment siège de la Chambre de commerce). Les objets décoratifs ne sont pas en reste, eux aussi dans un style Renaissance qui s’inspire des modèles antiques et devient vite maniériste. Et on refait de 1571 à 1574 l’horloge astronomique de la Cathédrale sous la direction du savant suisse devenu strasbourgeois Conrad Hasenfratz dit Dasypodius (1531-1600), des frères Habrecht pour la mécanique de l’horloge et de l’artiste Tobias Stimmer pour son décor.
Tobias Stimmer (1539-1584), peintre, illustrateur et graveur
Né à Schaffhausen en Suisse, Tobias Stimmer est déjà célèbre pour ses décors de façade et ses gravures quand il arrive à Strasbourg en 1570. Sa mission : assumer la direction artistique du projet de nouvelle horloge astronomique. Il conçoit ainsi le décor peint du buffet, des éléments astronomiques, ainsi que des projets peints pour la réalisation des sculptures des personnages de l’horloge astronomique qui sera considérée comme une des sept merveilles de l’Empire, au même titre que la cathédrale elle-même.
On retrouve dans l’exposition les « grisailles », esquisses de ces projets, fraichement restaurées, à côté des sculptures elles-mêmes : de purs chefs d’oeuvre !
La production de Tobias Stimmer ne se résume pas à ces chefs d’œuvre : devenu bourgeois de Strasbourg, Tobias Stimmer y a encore réalisé nombre de gravures et dessins à admirer au musée de l’œuvre Notre Dame.
Et la ville est un des grands centres d’impression où sont publiés des « bestsellers » de l’époque tel l’adaptation en allemand par le strasbourgeois Johann Fischart (1546_1591) d’œuvres de Rabelais, dont Tobias Stimmer réalise les gravures.
ndlr: Denis Roegel, maître de conférences à l’Université de Lorraine à Nancy, spécialiste des horloges de clocher, nous signale avoir fait paraître en version préliminaire son ouvrage sur Tobias Stimmer, Les peintures de Tobias Stimmer sur l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg, 2024, 748 pages et plus de 500 illustrations, disponible en ligne uniquement.
Wendel Dietterlin (1551-1599), maître ès arts décoratifs
Lui aussi arrivé à Strasbourg vers 1570, le souabe Wender Dietterlin y réalise nombre de gravures et peintures murales, dont celles (encore à restaurer) de la salle de la Loge de l’œuvre Notre Dame. Alors qu’il travaille à Stuttgart, il publie en 1593 son œuvre maîtresse Architectura und Austheilung der V. Seulen, dont une réédition est disponible à l’achat (18€) à la boutique du musée.
Ce catalogue d’une quarantaine de gravures (une soixantaine dans les éditions ultérieures) est un succès retentissant et connaîtra vite de multiples rééditions. Outre un traité sur l’art des colonnes grecques antiques (die V Seulen, les 5 colonnes), Wender Dietterlin y propose surtout de riches fantaisies architecturales qui seront sources d’inspiration et modèles pour les architectes comme pour les artisans.
En bonus de l’exposition, passez par la salle des Administrateurs de l’œuvre Notre Dame : les boiseries (1582) ont été fraichement restaurées (septembre 2023) et valent la visite à elles seules !
Benoît Kuhn, février 2024 – photos: Alsace.news sauf mention contraire