La récente controverse sur le train Paris-Berlin avec ou sans passage à Strasbourg le montre : l’Alsace reste un cul-de-sac ferroviaire, et les solutions sont longues à venir.
A l’occasion de l’inauguration de la 91è Foire européenne de Strasbourg (1er septembre), le ministre délégué aux Transports Clément Beaune, ancien secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, a annoncé qu’une solution avait été trouvée pour le passage par Strasbourg du train Paris-Berlin : les trains de nuit s’arrêteront dans la capitale alsacienne à partir du 11 décembre 2023 (date de leur remise en service), mais il faudra attendre 2025 pour une desserte diurne. Ces déclarations très politiques – sinon lénifiantes – après les cris d’orfraie de la classe politique alsacienne ne suffisent pas à cacher une réalité peu reluisante : il faut s’appeler Greta Thunberg pour prendre le train plutôt que l’avion entre Paris et Berlin.
Deux heures de trajet et des prix entre 100 et 150€ avec Air France, qui dit mieux ? Actuellement, le train Paris-Berlin met presque 9 heures pour arriver à terme, avec au moins une correspondance (Cologne/Köln dans le meilleur des cas), et coûte au moins 260€ (hors promotions ponctuelles). Le futur (2024 ?) direct Paris-Berlin de jour mettra encore 7 heures avec un prix probablement équivalent. Au moins le train de nuit – 12 heures quand même – promet d’être moins cher, moins de 100€ pour les premiers trains Paris-Berlin à partir du 11 décembre. De quoi détourner quelques touristes du Christkindelsmärik vers les Berliner Weihnachtsmärkte ? Mais pour les autres… Bref, nous ne parierons pas sur l’avenir de cette liaison ferroviaire, même subventionnée.
Nos politiques feraient mieux de se mobiliser pour un sujet plus concret et plus porteur d’avenir pour l’Alsace : les interconnexions ferroviaires dans l’espace rhénan.
Le train de Mulhouse à Bâle en passant par l’aéroport
Commençons par le Sud ! Le tronçon manquant entre Mulhouse, Saint-Louis, l’aéroport de Bâle-Mulhouse et Bâle voit ses coûts exploser, la barre des 500 millions d’euros risquant d’être franchie avant le premier coup de pioche. Or, cette infrastructure est cruciale pour l’ensemble urbain Bâle/Saint-Louis/Mulhouse (population et entreprises), mais aussi pour développer le ferroutage entre le sillon rhénan et le corridor rhodanien. Peut-être faudrait-il confier les travaux, voire la propriété des voies, à l’aéroport de Bâle-Mulhouse, qui se révélerait sans doute plus efficace que les administrations étatiques ?
Colmar-Fribourg/Freiburg : un pont trop loin ?
La situation n’est pas meilleure pour la reconstruction de la ligne Colmar/Fribourg-en-Brisgau et de son pont sur le Rhin, on va de report en report… A en croire la presse, les études de faisabilité menées de part et d’autre ont utilisé des critères d’évaluation différents : un nouveau rapport a donc été commandé, mais le calendrier indique la date de 2038 (si tout va bien !) plutôt que la fin de la décennie actuelle pour la concrétisation de ce projet. Là aussi, le financement est problématique, avec plus d’1,3 milliard d’euros. Pourtant, qu’il s’agisse du trafic de voyageurs (régional et international) ou du fret, le besoin de cet axe est incontestable pour dynamiser les échanges transfrontaliers. Il est vrai que la reconversion du site de l’ex-centrale nucléaire de Fessenheim jette une ombre défavorable sur le projet… Alors, on a réussi à creuser un tunnel sous la Manche, et on ne trouverait pas de solution pour un pont sur le Rhin ?
Un TER de Strasbourg jusqu’à Francfort/Frankfurt
Qu’en est-il du côté de Strasbourg ? Depuis plus de 30 ans, la liaison ferroviaire directe entre la ville et l’aéroport de Francfort est un « voeu pieux », réitéré à plusieurs reprises par les plus hautes autorités des deux pays. Certes, on peut prendre le bus, ou changer à Offenburg – mais ce n’est pas l’objectif recherché… Une approche différente serait de combiner cette liaison avec la remise en service de l’ex-pont ferroviaire de Beinheim/Wintersdorf, jadis utilisé pour la ligne Haguenau/Rastatt.
En effet, pourquoi ne pas imaginer un train de type TER reliant Strasbourg à l’aéroport de Francfort qui passerait par Haguenau, Rastatt et Karlsruhe ? Alors que les premières rames Regiolis seront disponibles fin 2024, cette « option Nord » économiserait l’aménagement de la « courbe d’Appenweier » qui est souvent invoquée pour justifier le retard dans la mise en oeuvre de cette promesse. Qui plus est, ce service public « régional » pourrait bénéficier de subventions d’exploitation sans s’attirer les foudres de la Commission européenne, puisqu’il ne s’agirait pas d’une liaison internationale soumise au droit de la concurrence.
Il y a quelques mois, la Collectivité européenne d’Alsace s’est dotée d’un Schéma alsacien de coopération transfrontalière (SACT), mais la CeA n’est pas compétente en matière de transports ferroviaires. Pourtant, au risque d’une intervention de la Préfecture, pourquoi reste-t-elle aussi discrète sur ces problèmes ferroviaires ? C’est dommage de laisser la Région Grand Est imposer sa marque à coups de sticker sur les RER, alors que le fiasco du REME (Réseau Express Métropolitain Européen) cette année à Strasbourg montre l’impéritie de Grand Est sur ce sujet.
Théo Leblé, octobre 2023 – visuel: Wikicommons
Fonctionnaire, Théo Leblé garde aussi un oeil acéré sur la scène politique alsacienne