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Grand Est : pourquoi Emmanuel Macron a changé sa position et ce qui en résulte

L’interview accordée par Emmanuel Macron au groupe de presse EBRA le 18 avril 2023 a créé beaucoup d’émotion et suscité nombre d’interrogations sur la position du président de la République relative au rétablissement d’une région Alsace.

La déclaration d’Emmanuel Macron

 Le salut à son « ami » Franck Leroy, nouveau président de la région Grand Est depuis janvier 2023, a été entendu comme un signal politique plus qu’un simple mot de courtoisie. Après avoir rappelé la création de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), le président s’est dit « attaché à ce que l’on ne crée pas de nouvelles divisions », ce qui peut s’entendre comme un souhait du statu quo d’autant qu’il ajoute que « la solidarité est importante. Il ne faut pas de débat qui divise sur ces sujets. » Il reprend ensuite telles quelles des affirmations véhiculées par la communication de la Région. « Je veux que les Alsaciens que j’aime sachent que la région Grand Est leur apporte beaucoup. C’est le cas notamment pour les transports, l’aménagement du territoire. C’est plus que ce que l’Alsace aurait pu faire seule. »

Voilà qui est loin des réalités ! Car on aimerait bien savoir ce que le Grand Est nous a apporté en matière de transports alors que la région Alsace a été un innovateur exemplaire de la décentralisation du rail. Quant à l’aménagement du territoire, on chercherait en vain des bénéfices, sauf à compter comme tels les dizaines de délocalisations de sièges et centres de décision des services régionaux de l’Etat (rectorat, Agence de santé, gendarmerie, agriculture, etc.), des ordres professionnels, des organismes économiques (chambres consulaires…), des fédérations sportives, qui ont quitté Strasbourg pour s’installer en Lorraine.

Les réactions de dépit ont été immédiates en Alsace, où l’on était resté sur les espoirs nés des promesses électorales du printemps 2022 et de l’engagement des députés de la majorité qui ont déposé une proposition de loi en octobre. Unser Land a dénoncé une déclaration qui «semble avoir fermé la porte à une sortie de l’Alsace du Grand Est » etinflige « une gifle cinglante à toute l’Alsace ». Les  associations régionalistes, MPA, CPA, ICA ont exprimé étonnement et désapprobation.

Dans les DNA du 21 avril, Franck Buchy, un fin analyste, titrait son éditorial « Décentralisation en retraite » et expliquait qu’Emmanuel Macron « a bien fermé la porte à un retour à une Région Alsace, hors du Grand Est » dans une formulation « qui ne laisse aucune place au doute ». Fort pertinemment il relie cette position au peu de considération qu’a l’Etat pour les pouvoirs locaux. C’était, en effet, une réponse cavalière à la résolution prise par Conseil d’Alsace le 13 avril 2023 exigeant la transformation de la CeA en Région à part entière, que le Président de la République connaissait évidemment, même si F. Bierry ne la lui a remise officiellement que lors de leur courte rencontre à Sélestat. L’Union de Reims du 20 avril titrait, de son côté, « Macron met fin aux rêves de départ de l’Alsace du Grand Est ».

Certes, les parlementaires alsaciens de la majorité gouvernementale ont aussitôt publié un communiqué disant qu’ils tenaient du Président de la République que celui-ci n’excluait pas une évolution des institutions régionales. Et le cabinet de la Présidence cherche à calmer le jeu en répétant qu’il y a eu surinterprétation.

Quoi qu’il en soit, il n’y a plus en Alsace le même degré de confiance car il est indéniable que la position du Président de la République a évolué, l’incertitude concernant l’amplitude du changement et ses effets. Pour les Alsaciens il importe de comprendre sur quels arguments il s’est opéré. Nous livrons ici une analyse basée sur des informations vérifiées, mais qui reste ouverte à la discussion.

L’influence et l’habileté de Franck Leroy

Emmanuel Macron réfléchit aux propos de Franck Leroy
Emmanuel Macron réfléchit aux propos de Franck Leroy: visuel réalisé par Alsace.news avec le moteur d’images Midjourney – DR

Des facteurs politiques ont joué. Franck Leroy est dans la majorité, membre d’un parti dont Emmanuel Macron a besoin, notamment dans la perspective des élections sénatoriales de septembre, alors que le précédent président Jean Rottner n’était plus persona grata à l’Elysée. La parole de Franck Leroy pèse donc au plus haut niveau.  Cela lui a permis de donner du crédit au discours récurrent des partisans du Grand Est soutenant que les sondages et consultations populaires qui montrent que l’immense majorité des Alsaciens souhaite le retour d’une région Alsace n’avaient guère d’importance, pas plus que les proclamations des conseillers et du président de la CeA

On ne voit guère de contestation ouverte du Grand Est, dont le président est partout bien accueilli en Alsace. Enfin, argument décisif de Franck Leroy, les maires des villes sont avec nous (le Grand Est) ou d’une bienveillante neutralité. L’énoncé de la liste a, paraît-il, impressionné : Haguenau, Molsheim, Obernai, Illkirch-Graffenstaden, Mulhouse, Strasbourg, Schiltigheim ; même la première adjointe au maire de Colmar est dans la majorité régionale ! Or, chacun sait qu’avoir les maires avec soi est électoralement très avantageux et qu’en France les affaires publiques se décident entre « grands ».  Il n’y aurait donc plus qu’à attendre que le temps ait fait son œuvre et de bloquer tout changement durant ce mandat pour rendre la situation irréversible.

La Lorraine et Champagne-Ardenne ne veulent pas perdre les avantages du Grand Est

Franck Leroy, auparavant maire d’Epernay, est particulièrement écouté lorsqu’il affirme que les dirigeants politiques lorrains et champenois sont fermement opposés à un démantèlement du Grand Est, pour des raisons qui se devinent facilement. Ce sont, d’une part, les avantages acquis du fait de la grande région : péréquations financières (« nous avons pu réaliser des investissements dont nous ne rêvions même pas » a déclaré un sénateur champenois) et les relocalisations d’innombrables organismes publics et privés. Et c’est, d’autre part, le refus d’un retour aux anciennes régions au dessin imparfait et minées par les rivalités entre plusieurs villes à prétention régionale et entre des départements aux intérêts disparates. L’inclusion dans le GE, certes imparfait, transcende dorénavant cela.

Résumons par un paradoxe : deux régions imparfaites mettent leur veto au rétablissement d’une région parfaite grâce à la collusion entre grands dirigeants nationaux et régionaux qui méconnaissent, voire bafouent, les aspirations d’une large majorité des citoyens, non seulement alsaciens, mais aussi lorrains et champenois puisque les sondages montrent que ceux-ci souhaitent également et majoritairement la fin du Grand Est.

Ces réalités resteront-elles dans le non-dit ou osera-t-on les mettre franchement et vigoureusement dans le débat politique régional et national ?

Robert Hertzog, 15 juin 2023
Secrétaire Général du Mouvement pour l’Alsace (MPA),
agrégé de droit public et de science politique, Expert auprès du conseil de l’Europe, Maire adjoint honoraire de Hoenheim, Président d’honneur de la Société française de finances publiques

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