Hommage à nos morts

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Tambov : une mémoire toujours vivante

La mémoire alsacienne-mosellane de Tambov à l’épreuve du temps, de la crise sanitaire et du conflit russo-ukrainien.

L’assemblée générale de « l’Association Pèlerinage Tambov », tenue ce samedi 14 octobre 2023 à Obernai, a montré toute la détermination des gardiens de la mémoire des Malgré-nous en général et, en particulier, de celle des milliers d’Alsaciens-Mosellans tombés dans le tristement célèbre camp de Tambov. Près d’une centaine de personnes se sont retrouvées, dont un rescapé du camp âgé de 98 ans, M. Mutschler, venu partager sa force de vivre et sa tragique mémoire. Un travail de mémoire que n’aura entamé ni le temps, ni la crise sanitaire de 2020-2021 ou la guerre russo-ukrainienne.

S’agissant de l’aspect de la crise géopolitique, l’assemblée a été l’occasion d’une annonce et non des moindres : « Nos contacts russes continuent d’entretenir les tombes des Alsaciens-Mosellans bénévolement depuis 2018 et notre dernier voyage », a déclaré Mme Marlène Dietrich, présidente de l’association Pèlerinage Tambov, à l’appui de vidéos et photos envoyées cette semaine par les amis russes de l’association. Une annonce qui vient de bon augure et contraste avec les récentes informations parvenues il y a deux semaines sur la décision russe de démanteler les mémoriaux polonais, lituaniens et finlandais sur le sol russe sur fond de conflit avec le monde occidental.

Tambov Malgré nous devant croix Tomi Ungerer
Devant la double croix (1998) de Tomi Ungerer symbolisant les Alsaciens morts sous les deux uniformes, le Mosellan David AMBERG et l’Alsacien Thierry KRANZER entourent M. MEYER, le dernier survivant du camp à s’être rendu à Tambov en 2010

Lister les victimes de Tambov, un travail toujours en cours

L’association a aussi rendu hommage aux 81 Malgré-nous d’Obernai victimes de l’incorporation de force avant de rappeler l’immense travail réalisés par Claude Herold, qui a extrait, durant deux ans, 12 000 identités d’Alsaciens disparus durant la guerre. Ce dernier a aussi précisé que nous allions cette année exhumer la millionième victime de la Seconde Guerre mondiale sur le front russe depuis 1945. 

Autre fourmi travailleuse de l’association, Christian Farner, qui a présenté l’état de ses travaux ayant abouti à la consolidation d’une liste de 2 500 Alsaciens tombés à Tambov en s’appuyant sur des articles et des sites internet de différentes sources. Un travail toujours en cours et loin d’être exhaustif et qui ne contient pas encore la liste des Mosellans, représentant statistiquement 50% des effectifs alsaciens.  S’agissant des pronostics, d’aucuns gardent à l’esprit le recueil écrit par le médecin Klein rescapé du camp qui avait tenu un inventaire établissant à 9 500 le nombre d’Alsaciens-Mosellans ayant succombé aux mauvais traitements au camp 188.

Tambov jeunes visiteurs Alsaciens et Mosellans
Groupe de jeunes Alsaciens-Mosellans sur les escaliers de leur gîte à Tambov avec couleurs alsaciennes et mosellanes

Les jeunes générations aussi

Enfin, la présidente Dietrich a tenu à clôturer cette assemblée en donnant lecture d’une lettre écrite par un jeune du premier voyage de 1996 décrivant toute la profondeur de la démarche : « Tambov m’avait toujours hanté.  J’ai appris une fois au lycée que mon grand-père y était. Il n’en avait jamais parlé.  Ce secret de famille est resté comme une cicatrice, comme la tunique de Nessus, qui colle à la peau de celui qui emmagasine l’angoisse de ses ancêtres. Parce que, comme le dit l’adage populaire, tout ce qui est caché dans une famille est su par le chien et les enfants.  Plus tard, des recherches sur l’inconscient transgénérationnel familial m’ont permis de découvrir combien le passé est interagissant et comment nous continuons la chaine des générations et payons les dettes du passé, tant qu’on n’a pas « effacé l’ardoise ».  

« Une « loyauté invisible » nous pousse à répéter, que nous le voulions ou non, la situation agréable ou l’évènement traumatique » écrit la psychothérapeute Anne Ancelin Schützenberger, dans son merveilleux livre Aïe mes aïeux !.  Aller à Tambov c’était payer une dette familiale et régionale : assumer l’histoire et la mémoire ».

A méditer, alors que de possibles nouvelles guerres entraineraient de nouvelles décennies de traumatismes et de nouvelles dettes psychologiques à payer.

Thierry Kranzer, 31 octobre 2023
Ancien assistant parlementaire du sénateur Henri Goetschy, Thierry Kranzer a longuement navigué entre Alsace et New York où il a été attaché de presse de l’ONU de 2001 à 2022. Il met cette expérience au service de son engagement en faveur du bilinguisme en Alsace et édite notamment le site Sprochpolitik.org

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