Faut-il se contenter d’en appeler à la raison et à l’intérêt bien compris des partis au pouvoir à Paris ? Faut-il (continuer à) ne pas faire de vagues pour ne pas être « mal vus » de l’Elysée et de ses conseillers tout puissants ?
Brigitte Klinkert, ministre de 2020 à 2022, prétendait utiliser sa proximité du Président pour faire avancer la cause de la région Alsace dans une prochaine loi de décentralisation. Son successeur comme « ministre alsacien » Olivier Becht disait déjà plus modestement « être un peu le porte-parole des préoccupations de l’Alsace ». Ils ont apparemment été inaudibles, et l’Alsace avec. L’éventuel prochain ministre alsacien du gouvernement (gouvernement pas encore décidé trois semaines après le remaniement !) sera-t-il plus efficace ? Poser la question, c’est presque y répondre…
Frédéric Bierry, l’arme au pied
Le président de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA) s’est quant à lui mis en ordre de bataille. Il a formellement fait voter le 18 décembre par le Conseil d’Alsace une résolution demandant le rattachement à la CeA des compétences régionales d’ici à 2026, si besoin est en recourant à des ordonnances dans le cadre d’une loi de décentralisation.
Et dans sa longue (1h30) émission-débat « Quel avenir pour l’Alsace » sur BFM Alsace le 26 janvier 2024, Frédéric Bierry a réaffirmé à propos d’une éventuelle loi de décentralisation que « nous ne pourrions pas accepter que les choses bougent pour les Corses et pas pour l’Alsace ». Avant de conclure à l’adresse d’Emmanuel Macron : « Osez M. le Président ! ».
Dans une interview à l’Ami Hebdo le 29 janvier 2024, Frédéric Bierry est même allé un cran plus loin, se déclarant « prêt à hausser le ton » si besoin était. On en accepte l’augure.
André Reichardt en soutien
De même, dans ses vœux aux adhérents du Mouvement pour l‘Alsace (MPA), le sénateur André Reichardt a adopté un ton plutôt énergique :
« Un nouvel espoir vient de l’adoption par l’assemblée d’Alsace, le 18 décembre 2023, d’une délibération dont l’importance tient à trois apports. Appuyée sur les résultats d’une consultation populaire étalée sur l’année pour définir « L’Alsace que nous voulons », elle démontre que réunir les compétences de la région et de la CEA n’est pas que du meccano institutionnel mais se justifie par une amélioration significative de la gestion publique et des services aux citoyens et aux entreprises. Elle montre à tous que la volonté des Alsaciens reste intacte et qu’ils ne céderont pas. Enfin, elle charge le président Bierry de « prendre toute initiative pour mettre en œuvre ce projet voulu par les Alsaciennes et les Alsaciens, en s’adressant (…) à toutes les autorités nationales compétentes ».
Nous ne nous laisserons donc plus berner par des promesses vagues de décentralisation destinées à nous endormir pour laisser le Grand Est s’installer définitivement dans le paysage, les médias et les esprits à coup de millions dépensés en communication, alors que les deux tiers de la population rejettent cette institution absurde. Maintenant, ça suffit !
Jetz langt’s ! Si d’ici les élections européennes, aucun signal concret n’atteste de la volonté sincère du gouvernement de faire évoluer le statut du Grand Est, beaucoup de citoyens, considérant qu’ils ont été suffisamment patients, voteront pour des partis qui se sont engagés à rétablir une région Alsace. Les partis gouvernementaux essuieront ici un échec cinglant, qui ne sera pas compensé dans le reste du Grand Est. »
Très belle analyse. Il ne reste plus qu’à en convaincre le Président.
Les élections européennes en ligne de mire avant toute décentralisation
Chargé sans nul doute de préparer au mieux ces élections européennes, mais englué dans la crise agricole, le nouveau Premier ministre Gabriel Attal semble jouer la montre et vouloir reporter ce sujet difficile de la décentralisation après lesdites élections. Il a déjà déclaré devant le Sénat le 31 janvier « souhaiter qu’une loi construite avec les associations d’élus soit présentée avant la fin de l’année 2024 pour tirer les conclusions de la mission d’Éric Woerth ». Et donc proposer ce que bon lui semblera sans plus craindre de sanction électorale avant 2027.
Rappelons que le député (et ancien ministre sarkosyste) Eric Woerth s’était vu confier en novembre 2023 par Emmanuel Macron une « mission relative à la décentralisation afin de formuler des pistes de réformes qui pourraient répondre aux objectifs partagés ensemble (simplifier, clarifier, rendre plus efficace et restaurer la confiance de nos concitoyens) ». Lequel Eric Woerth s’est vu entretemps « encadrer » par deux piliers du Grand Est, Catherine Vautrin (présidente du Grand Reims) et Boris Ravignon (maire de Charleville-Mézières) nommés « adjoints ». Voilà qui augure mal du contenu du dit rapport de mission, lequel doit être rendu ce printemps.
Alsace.news l’avait déjà écrit à l’automne dernier, les élections européennes de juin 2024 sont une opportunité pour l’Alsace de faire entendre sa voix. L’analyse ci-dessus signée d’André Reichardt va dans le même sens. A Frédéric Bierry de prendre ses responsabilités d’ici juin, aux élus alsaciens de le soutenir en ce sens, et aux Alsaciens de sanctionner dans les urnes en juin les partis qui les décevraient une fois de plus. C’est la seule voie possible. Ne pas l’emprunter serait une démission.
Benoît Kuhn, 1er février 2024